Blogue 002 : Jean Meslier, curé athée et communiste au XVIIIe siècle

Pierre J. MAINIL

Ce deuxième volet du blog LPA nous arrive de notre ami belge Pierre Mainil. Son sujet : celui qui est probablement le plus important théoricien de l’athéisme de toute l’histoire. Il s’agit de Jean Meslier, un simple curé de village qui, à sa mort en 1729, nous a légué un volumineux testament dans lequel il exprime de manière claire et franche ce qu’il ne pouvait exprimer de son vivant : son rejet absolu des religions en général et du christianisme en particulier, et son adhésion à un matérialisme philosophique rigoureux et accessible. Meslier et ses écrits mérite d’être connus le plus largement possible.

Jean MESLIER est né en 1664. à MAZERNY, une localité proche de RETHEL Il était le seul garçon d’une famille comportant 4 enfants. Il avait endossé l’habit ecclésiastique pour plaire à ses parents qui voulaient lui assurer « un état de vie plus doux, plus paisible et plus honorable dans le monde que celui du commun des hommes ».

De 1689 à 1716 la vie de Jean MESLIER ne sembla pas être sujette à problème. En 1716, il eut un conflit avec le seigneur du village qui en référa à son archevêque. S’il n’a plus exprimé ses sentiments de révolte en paroles par après, il les a transcrits sur papier.

Après sa mort survenue douze ans plus tard, on a trouvé à la cure d’Étrépigny, trois exemplaires d’un manuscrit de près de sept cents pages, un Mémoire qui comprend trois parties, à savoir :

  1. 1. Une partie historique où MESLIER y expose les invraisemblances et les contradictions des Écritures saintes.
  2. 2. Une partie d’ordre moral et social où MESLIER met en évidence le caractère néfaste de la morale chrétienne génératrice de soumission et de résignation, dénonce les inégalités sociales et la propriété privée. Il trace à larges traits un communisme utopique basé sur la mise en commun des terres au profit des paroisses fédérées.
  3. 3. Une partie philosophique où MESLIER s’y révèle moniste matérialiste et dès lors athée. Pour lui, l’être en général c’est la matière. Et la pensée n’est qu’une certaine manière d’être et d’agir de celle-ci.

Des extraits de ce Mémoire ont été répandus dans les circuits de la littérature manuscrite clandestine sous le nom de Testament. Mais ce n’est qu’en 1864, année bicentenaire de la naissance de MESLIER, que la première édition complète du Mémoire a été réalisée à Amsterdam par le libre-penseur et rationaliste hollandais Rudolf CHARLES d’Ablaing van Giessenburg . En quatorze années 300 exemplaires ont été vendus. En 1878, les 250 invendus ont été exportés en France. C’est d’après cette édition que MESLIER a commencé à être connu en Allemagne et, au début du 20ième siècle, traduit et étudié dans les pays de l’Est et aux États-Unis.

Et cette phrase-ci que l’on a mise depuis lors à toutes les sauces, n’était certes pas pour apaiser les biens pensants : « Je voudrais, et ce sera le dernier et le plus ardent de mes souhaits, je voudrais que le dernier des rois fût étranglé avec les boyaux du dernier prêtre. »

Chaque fois que j’ai évoqué les pensées du Mémoire, le même reproche a été prodigué à Jean MESLIER, celui de ne pas avoir eu le courage de son vivant de proclamer son matérialisme, son athéisme, son communisme utopique et sa haine des exactions des puissants. Comme si nous ne savions pas que de 1184 à 1766, on réprima en FRANCE par la violence toute parole impie, injurieuse envers la divinité. NE PAS S’ÉCARTER DE LA PAROLE RÉVÉLÉE était le leitmotiv.

Mais nous, ne sommes-nous pas frileux en ce 21ième siècle pour user de la liberté d’expression. Comment ne pas comprendre la situation de notre Frère en Humanité Jean MESLIER !

Devait-il aller plus loin et non pas risquer mais avoir à coup sûr le bûcher s’il avait osé exposer de vive voix les pensées qui sont étalées dans son « Mémoire »!

MESLIER est avant tout un rationaliste qui ne met aucune borne ni exclusive aux conquêtes de la raison. Mais il reste sur ses gardes, il ne veut pas tomber dans ce que l’on a dénommé par après le scientisme. Il est conscient que toute observation est inféodée au subjectivisme de l’intéressé. Son rationalisme l’amène à se déclarer moniste matérialiste. Hors la matière, il n’y a rien écrit-il.

Avec beaucoup de perspicacité, MESLIER émet aussi la conception que la matière n’est pas statique mais dynamique. Tout est en mouvement, tout se transforme, tout progresse : écrit-il. Une conception révolutionnaire pour son temps dans le monde de la pensée.

MESLIER vit au milieu de la paysannerie. Il reste très en contact avec les spectacles de la nature. Il sait ce qu’est une greffe d’un végétal sur un autre. Ce qui en résulte. Et sa vision sans parti pris du monde vivant transparaît aussi lorsqu’il parle des sentiments et émotions des animaux. Il arrive aussi à parler des mouches, araignées et vers de terre que l’on écrase et estime que cela suffirait pour démontrer que ces bestioles ne sont pas les ouvrages d’un dieu pourvu de toutes les qualités au suprême degré.

MESLIER martèle à plusieurs reprises la petite phrase : « Il n’y a point de Dieu. » Et que la croyance en la divinité n’est pas naturelle. Nous savons tous que la grande majorité des hommes adoptent au plan religieux la croyance du milieu dans lequel ils sont nés et ont passés leurs jeunes années. La plupart des enfants élevés dans un clan où la religion des parents est soit la catholique ou la juive ou la musulmane seront catholiques, juifs ou musulmans.

Des pages durant, MESLIER s’attache à démonter l’irrationalité de toutes les religions, en particulier de la catholique. Déclarer que le dieu créateur soit la bonté même au delà de ce que l’homme peut imaginer, lui est incompréhensible. Ou encore demande-t-il si l’on peut se fier à un dieu qui condamne à l’enfer pour l’éternité les créatures qu’il a créées. Et cela l’amène à évoquer le problème des tourments de la sexualité ! Les bienfaits de la divine providence n’amène chez lui que sarcasmes. Et il s’applique à dénoncer l’inutilité du dogme de la vie après la vie terrestre.

MESLIER a l’esprit libertaire. Mais il connaît les contraintes que la vie en société peut amener. Mais ces contraintes doivent être axées sur le bien général et non être là pour satisfaire les intérêts particuliers.

Vivant dans ses paroisses rurales, il est bien conscient de la situation des paysans dans la France du 18ième siècle. Il en analyse le pourquoi et arrive à la conclusion que les premiers fainéants et inutiles dans le monde sont les gens de la noblesse et les rentiers. Il dénonce aussi le parasitisme des prêtres. Il s’acharne sur l’inutilité de la vie contemplative. Il en arrive à proposer l’interdiction purement et simplement de tout ministère religieux.

MESLIER assène que l’humanisme est en nous-mêmes. Mais pour y arriver, avec emphase, il demande aux hommes de lutter ensemble pour l’abolition de la propriété privée pour instaurer une mise en commun de tous les biens. Et les communautés travailleraient sous la conduite des plus sages et des plus compétents pour le maintien et l’avancement du bien public. Et les règles de distribution des vivres et produits seraient : « À chacun selon son travail. À chacun selon ses besoins. ».

Agissez donc ô peuples crie-t-il. Mais aussitôt, après cette envolée lyrique, supputant l’irréalité d’un tel communisme utopique, MESLIER retombe sur terre et se laisse aller à des propos pessimistes. Jean MESLIER a déversé dans son Mémoire toute sa désespérance de voir le monde tel qu’il est, il en analysé les causes, il en a évoqué des remèdes.

Mais il ne se fait aucune illusion sur ce que les hommes en feront. Il termine son texte par ces propos désabusés :

Je ne serai bientôt plus rien !

Après cela, qu’on en pense, qu’on en juge, qu’on en dise ce que l’on voudra, je ne m’embarrasse pas. Que les hommes s’accommodent et se gouvernent comme ils veulent, qu’ils soient sages ou qu’ils soient fous, qu’ils disent ou qu’ils fassent de moi ce qu’ils voudront après ma mort, je m’en soucie fort peu. Je ne prends déjà presque plus de part à ce qui se fait dans le monde.

Les morts avec lesquels je suis sur le point d’aller ne s’embarrassent plus de rien et ne se soucient plus de rien. Je finirai donc ceci par le rien, aussi ne suis-je guère plus que rien et bientôt je ne serai plus rien.

Pour en savoir davantage


Vidéo

Extrait de la conférence de Serge Deruette, congrès Athées sans frontières, octobre 2010


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Imprimer cette page Imprimer cette page