Blogue 036 : Charte québécoise

Une question d’heure juste

Jaque Parisien, 2013-10-25

Beaucoup d’encre a coulé, beaucoup de voix se sont élevées et on a beaucoup fait de gorges chaudes aux dépens des chartistes depuis l’annonce par le ministre Bernard Drainville d’implanter une Charte des valeurs québécoises. Beaucoup de commentaires et d’accusations ont inondé les unes des journaux nationaux et les tribunes radiophoniques et de télévision. Braqués les uns contres les autres, comme des chiens de faïence, les chartistes et leurs opposants ne semblent pas trouver de terrain d’entente propice pour ce que je considère comme étant l’aboutissement logique d’un long processus de laïcisation de la société québécoise entrepris dans les années 60. Pendant ce temps-là, le Québécois moyen s’est retrouvé pris entre l’écorce et l’arbre : d’un côté, l’idée de mettre un terme à la présence religieuse dans les affaires publiques semble plaire à une majorité; d’un autre côté, imposer le retrait des signes religieux, et je précise de TOUS les signes religieux, heurte en quelque sorte notre tempérament conciliant, foncièrement sympathique et ouvert aux différentes communautés qui forment le Québec d’aujourd’hui. Et comble de l’opportunisme, les partis de l’opposition officielle en rajoutent en tentant de se faire du capital politique d’une situation controversée. Néanmoins, j’aimerais remettre certaines pendules à l’heure concernant la prétendue xénophobie des Québécois, le clivage entre la gauche et la droite délimitant, à tort, les opposants et les tenants de la Charte sans oublier le traitement médiatique biaisé, en apparence, du débat qui fait rage.

[…] comment peut-on, en toute intelligence, accuser les chartistes de xénophobie quand, dans le fond, il s’agit de défendre la neutralité de l’État par rapport aux revendications religieuses issues d’un multiculturalisme dépassé ?

Tout d’abord, il faut bien comprendre que la xénophobie se caractérise par une hostilité tous azimuts contre les étrangers. Autrement dit, ce serait une forme de racisme. Les Québécois le sont-ils ? Si je suis prêt à concéder qu’une minorité, instruite ou non, mais par ignorance dans les deux cas, estime que le blanc francophone québécois devrait constituer le nœud du Québec moderne et que tous les autres, ces métèques venus d’ailleurs, devraient penser et agir en tout temps comme eux, donc s’intégrer dans les moindres aspects de leur vie privée au modèle du Québécois dit de « souche », je dirais simplement que des cons racistes pollueront toujours l’atmosphère d’un débat de société. Par contre, je m’insurge quand de telles accusations impliqueraient la majorité, voire la totalité des Québécois. Au contraire, j’estime que le Québec est une terre d’accueil dont la générosité de ses citoyens, leur foncière « gentillesse » si souvent ridiculisée en France, par exemple, n’est plus à prouver. Cela dit, comment peut-on, en toute intelligence, accuser les chartistes de xénophobie quand, dans le fond, il s’agit de défendre la neutralité de l’État par rapport aux revendications religieuses issues d’un multiculturalisme dépassé ? Il ne faudrait pas mélanger les pommes et les oranges en associant, sur le coup de l’émotion, le désir d’éliminer la religion de la sphère publique et la haine de l’étranger. Ne sont pas en cause le port d’un voile, le choix d’un régime alimentaire, d’une coupe de cheveux ou de couvre-chefs coiffant les têtes croyantes dans la sphère privée. Par contre, dans la sphère publique, et pour éviter les influences des unes et des autres, c’est une autre histoire. Et les athées dans toute cette affaire ? Celles et ceux pour qui toute croyance est une illusion, une histoire à dormir debout, pour qui les prétentions du religieux à être les détenteurs exclusifs de tout fondement moral digne de ce nom sont une insulte à leur intelligence, n’ont-ils pas le droit d’être profondément offensés et outrés parce qu’ils devraient tolérer les accoutrements et les symboles là où ils s’attendraient à ne pas en voir ? Parce qu’ils feraient partie de ceux accusés de xénophobie ? Nous avons beau rappeler que la neutralité garantirait le libre exercice de sa religion ou de son irréligion, aucun raisonnement ne semble percer les parois épaisses des bien-pensants et des idiots utiles. Je crois qu’il est grand temps que les incroyants dénoncent haut et fort l’intolérance des croyants et la servilité des politiciens quand ils s’entêtent à vouloir bloquer un dénouement qui pourtant m’apparaît comme étant tout à fait logique.

En avoir contre les monothéismes et rêver d’un monde où la religion serait confinée là où on pourrait la respecter, dans le privé, n’est pas l’apanage des tenants de la gauche ou de la droite : c’est la revendication de celles et ceux qui préfèrent la raison et la philosophie à la foi et à la théologie.

Sur une autre note, je me suis toujours rangé du côté des féministes, de la justice sociale et je me suis toujours insurgé contre la pauvreté grandissante d’une partie de la population au nom du déficit zéro ou du développement économique. La croissance économique au détriment d’un système de santé universel efficace, par exemple, ou d’un filet de sécurité sociale juste et équitable est une aberration. Suis-je de gauche ou de droite ? Je suis contre le port de signes religieux ostentatoires, contre la « moraline » infecte de certains religieux ou de politiciens qui voudraient bien jouer les saints, contre le crucifix, le hidjab ou la burqa, le turban ou la soutane dans la sphère publique. Suis-je de gauche ou de droite ? Le clivage que certains médias ont bien voulu nous proposer en tentant d’étiqueter les chartistes comme étant des conservateurs et les opposants comme logeant plus à gauche est d’une niaiserie insondable, à en mourir de rire si ce n’était du fait que de telles inepties risquent de fausser le portrait des uns et des autres. Que l’on soit athée, antithéiste, agnostique ou, si vous préférez, un incroyant impénitent qui désire plus que tout évincer la religion de la sphère publique ne nous loge ni à gauche ni à droite. Et il en va de même si on est contre la Charte et le retrait des signes religieux ostentatoires. Encore une fois, ce réductionnisme inexcusable de la part de certains journalistes fait frémir de dépit quand on sait que plusieurs lecteurs n’y verront que du feu et perpétueront à leur insu la propagation simpliste d’un tel clivage. En avoir contre les monothéismes et rêver d’un monde où la religion serait confinée là où on pourrait la respecter, dans le privé, n’est pas l’apanage des tenants de la gauche ou de la droite : c’est la revendication de celles et ceux qui préfèrent la raison et la philosophie à la foi et à la théologie. S’il y a combat, lutte, guerre même, ce n’est pas sur le terrain idéologique qu’il se déroule, ni sur celui du bien contre le mal, mais sur celui de l’émancipation contre l’asservissement ou la soumission.

Par ailleurs, comment ne pas relever, à tort ou à raison, une apparente censure des médias en général ? Je ne saurais suffisamment insister sur la quantité et la qualité des communiqués rédigés par notre association, qui ont été boudés, rejetés ou simplement passés sous silence, à quelques exceptions près, dont celui de L’aut’Journal, par les principaux médias québécois. C’est en parlant avec nos membres que j’ai constaté, par exemple, que plusieurs d’entre nous avions réagi à un article de Mario Roy, dans La Presse, intitulé Le Silence des athées. Nous avons été plusieurs à lui répondre et à défendre l’idée qu’au contraire nous n’étions pas si silencieux que ça, ou du moins que ce prétendu silence n’était en rien attribuable à une sorte de gêne qui non seulement tarirait notre discours mais nous injecterait un venin paralysant nous empêchant de manifester notre incroyance là où les tribunes nous ouvriraient leurs portes. En revanche, on déroule le tapis rouge pour les figures publiques dont les opinions seraient considérées par plusieurs comme le nec plus ultra de la rhétorique médiatique. Je confesse une certaine frustration et si je ne me lance pas dans une diatribe contre les médias et les journalistes dans l’ensemble, c’est que j’accuse une certaine ignorance concernant les contraintes éditoriales des grands médias. Il n’empêche que notre association a le droit de se poser ce genre de question, surtout qu’aucune explication n’a été fournie, aucun accusé de réception n’a été reçu ni même une minuscule mention de nos efforts ne s’est vu octroyer un entrefilet, enfoui quelque part dans les rubriques des lettres d’opinion ou des tribunes des lecteurs des grands médias de chez nous.

Enfin, nous continuerons à soutenir la Charte des valeurs québécoises même si, dans un de nos communiqués justement, nous nuancions notre appui en l’enrichissant de recommandations à nos yeux logiques et défendables. Nous continuerons à dénoncer les monothéismes, en commençant par le christianisme dont l’héritage nocif commence à peine à se dissiper chez nous, encore que la victoire définitive relèverait sans doute d’un souhait « pieux », en passant par tous les fondamentalismes, fussent-ils judaïques ou islamiques. Nous poursuivrons avec acharnement et détermination notre appui à l’interdiction des signes religieux ostentatoires dans la sphère publique tout comme nous condamnerons la prière comme préambule d’un conseil municipal. Nous veillerons au grain et nous débusquerons la pensée magique, surtout la religieuse, là où elle pourrait, un jour ou l’autre, conspirer à reprendre le pouvoir sous des auspices de moralité ou de bienveillance. Nous sommes athées et fiers de l’être.


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