Blogue 122 : L’abyssale hypocrisie de CFI-Canada

David Rand

2021-04-30

Centre For Inquiry – Canada (CFI-Canada ou CFIC) est un organisme canadien dont les origines se trouvent dans l’important organisme humaniste américain CFI, auquel il demeure affilié. Malgré ses prétentions d’appuyer le sécularisme, les tendances anti-laïques de CFIC sont manifestes depuis de nombreuses années. En 2013, CFIC s’est opposé à la Charte de la laïcité proposée par le gouvernement péquiste de l’époque. Ensuite, le 17 juin 2019, le lendemain même de l’adoption par le Québec de sa Loi 21 (Loi sur la laïcité de l’État), l’organisme a émis un communiqué de presse dénonçant cette loi, un communiqué qui avance une interprétation très curieuse de la neutralité religieuse d’État. Selon CFIC, retirer un privilège religieux à un fonctionnaire — le privilège de faire de l’affichage religieux au travail — constituerait une violation de cette neutralité !

Figure 1
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Or, récemment, le 28 janvier 2021, nous avons eu une confirmation on ne peut plus claire de l’anti-laïcité de CFIC, dans une conférence en ligne « Secularism in Canada » donnée par Leslie Rosenblood, porte-parole de CFIC en matière de sécularisme et conseiller politique de l’organisme partenaire Canadian Secular[sic] Alliance (CSA). Le conférencier y déclare l’opposition des deux organismes à la Loi 21 et nous explique la définition de sécularisme qu’ils ont adoptée. La voici (voir la première figure), traduite en français :

Le sécularisme est le principe de neutralité du gouvernement en matière de religion. Le gouvernement ne doit ni favoriser une religion par rapport à une autre, ni favoriser la croyance par rapport à l’incroyance.

Comme définition de neutralité religieuse, c’est bien. C’est même une neutralité forte, où la croyance et l’incroyance sont à égalité. Toutefois cette belle définition est incompatible avec le port de signes religieux par les fonctionnaires d’État, car il s’agit d’un privilège accordé aux croyants au détriment des incroyants. Donc, l’opposition de CFIC et CSA à la Loi 21 est incompatible avec leur propre définition. Mais plus important encore : ce n’est pas du tout une définition du sécularisme.

Figure 2
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Voici le hic (voir la deuxième figure) : la définition de sécularisme adoptée par CFIC et CSA n’inclut pas la séparation entre religions et État ! Si Thomas Jefferson était vivant, il se gratterait longtemps la tête en écoutant cette conférence de Rosenblood. Bien que le premier amendement de la constitution américaine (que le conférencier vante faussement comme étant « très séculière ») ne stipule pas la séparation (en réalité il ne fait qu’interdire l’établissement d’une religion d’État) Jefferson aurait voulu que cet amendement soit interprété ainsi, comme en témoigne sa célèbre lettre à l’église baptiste de Danbury. C’est dans cette lettre, datée le 1er janvier 1802, que Jefferson évoque le « mur de séparation éternelle entre Église et État ».

Mais CFIC et CSA rejettent ce principe de séparation ! Il existe plusieurs définitions de sécularisme ou de laïcité, mais c’est bien la première fois que j’en rencontre une qui exclut explicitement la séparation. Les implications sont dramatiques. Sans cette séparation, les autres aspects de la laïcité sont sérieusement affaiblis. Même la neutralité religieuse mise de l’avant par le conférencier serait privée de sa force — l’égalité entre croyance et incroyance — par l’absence de cette séparation.

Avec cette bizarre prise de position, CFIC vient de faire une entourloupette exceptionnelle, se rendant simultanément plus honnête et plus malhonnête. Comment a-t-il réussit ce paradoxe ? Cela fait des années que cet organisme ne respecte pas la séparation ; alors en se l’avouant enfin, il devient plus transparent. Mais en même temps, en se donnant une définition du sécularisme qui exclut la séparation, CFIC joue un jeu très malhonnête dans le but de se prétendre séculier tout en rejetant l’élément-clé de sécularisme.

Pourquoi agit-il ainsi ? La réponse est évidente : par pure lâcheté. CFIC veut maintenir son opposition à la Loi 21, car il n’a pas le courage de défier l’immense campagne de haine et de fanatisme anti-Loi 21 et anti-Québec qui sévit actuellement au Canada. Donc, afin de pouvoir se prétendre toujours séculier, CFIC sort de son sac une nouvelle définition de sécularisme qui se conforme mieux à cette honteuse opposition. D’un autre côté, si je me trompe et que CFIC est en fait d’accord avec cette campagne réactionnaire contre la laïcité, alors la situation est encore pire que je ne le pensais.

Le récent jugement de la Cour supérieure du Québec dans la contestation de la Loi 21 est très révélateur des implications de la décision de CFIC. La Loi a été partiellement validée, mais seulement sous la contrainte des clauses de dérogation. Le jugement est très hostile à la laïcité et à la Loi 21, déclarant même que l’interdiction du port de signes religieux viole « l’âme ou l’essence » des croyants qui ne font que respecter la loi de leur « Dieu » que la Loi 21 a le défaut de ne pas reconnaître. C’est ainsi que le juge affirme que les signes religieux sont bien plus importants que les signes politiques.

Ainsi, le juge Blanchard dans son jugement nous rend un fier service, car il nous dévoile les implications de l’opposition à la Loi 21. Depuis des années, dans mes écrits, j’explique que les soi-disant obligations religieuses ne sont que des mythes. Si, par contre, nous prenons ces obligations au sérieux, comme par exemple l’obligation de porter certains signes, alors il faut invoquer une « âme » ou des « lois de Dieu » afin de justifier cette obligation, afin d’expliquer en quoi les signes religieux seraient si essentiels.

Alors, quelle est la prochaine étape pour CFIC et CSA ? Ces organismes vont-ils prendre position prochainement pour l’existence de l’âme afin de rationaliser leur opposition à la laïcité et à la Loi 21 ?


4 commentaires sur “Blogue 122 : L’abyssale hypocrisie de CFI-Canada
  1. Réal Boivin dit :

    Merci David pour ce texte qui nous explique ce qui se passe dans le Canada anglais et qui n’est pas diffusé en français et surtout pas au Québec français.
    Je pense que cette organisation ne sert plus à rien sinon à engraisser des scribouilleurs avec des fonds publics.

    • David Rand dit :

      Merci Réal.
      Je ne pense pas que cette organisation reçoive des fonds publics, heureusement.
      Mais elle reçoit des dons importants d’athées canadiens, dont plusieurs peuvent être membres de notre association aussi.

  2. Réal Boivin dit :

    Pourtant sur leur site on voit qu’on peut faire un don déductible d’impôt. N’est-ce pas de l’argent public ?

    • David Rand dit :

      Effectivement, c’est profiter indirectement de l’argent des contribuables. Il faudrait aussi vérifier le statut de leur partenaire Canadian Secular[sic] Alliance. S’ils interviennent devant les tribunaux contre la Loi 21, ce sera CSA qui le fera (par le CFIC si je comprends bien). Alors si les dons à la CSA sont déductibles d’impôt, cela veut dire qu’ils peuvent détourner l’argent des contribuables pour lutter contre la laïcité.

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