« Debout les athées de la terre ! »

« Debout les athées de la terre ! »

Jean-Yves Méreau, ed. L’Harmattan, Paris, 2013

Recension par David Rand

Comptant à peine une centaine de pages, le modeste volume du Français Jean-Yves Méreau est pourtant d’une envergure remarquable. Des essais bien plus complets sur le sujet de l’athéisme existent déjà et Méreau n’a pas la prétention d’être savant philosophe, historien ou éthicien :

Ce texte n’est donc pas une thèse sur l’athéisme ou la religion. Il y a quantité de livres très bien faits pour cela. Il suffit aussi de relire nombre de philosophes pour que le simple doute cède la place à l’athéisme le plus ferme. Là n’est pas le propos. (Les citations sont toutes du livre de Méreau.)

Debout les athées de la terre !

Le but de l’auteur, c’est que le silence actuel de l’athéisme cesse, que les athées se manifestent, s’affirment, et s’expriment beaucoup plus ouvertement que nous ne le faisons actuellement, car nous, les incroyants, sommes très nombreux – voire majoritaires dans plusieurs pays, comme celui de Méreau – tandis que présentement notre voix est presque inaudible dans la cacophonie actuelle des religions qui essaient de s’imposer partout. La laïcité, dans la mesure où celle-ci existe, est dangereusement menacée et ce n’est que nous, les athées, qui pouvons la sauver.

Nous, athées et laïcs, devons taper du poing sur les tables d’autel.

Méreau lance donc un appel : que les athées volent à la rescousse des valeurs de la modernité et des Lumières. La solution que propose l’auteur est audacieuse : ni plus ni moins que l’athéisme d’État.

L’État en lui-même ne peut être qu’athée c’est-à-dire fondé sur aucun autre concept que le « Contrat social », libre de toute subordination à une transcendance qui plus est concrétisée par des structures et des pouvoirs terrestres locaux, nationaux, internationaux ou supra nationaux. Car de cette mondialisation-là, nul ne s’inquiète. Ces pouvoirs extérieurs à l’État sont fondés sur des subjectivités. Seule l’objectivité de l’athéisme d’État peut garantir le libre fonctionnement de la laïcité.

C’est quoi l’athéisme d’État ?

Ici, il faut s’arrêter un moment pour bien réfléchir à ce concept. Au fait, j’ai l’habitude de ne jamais utiliser l’expression « athéisme d’État » parce que son acception la plus courante est de l’identifier avec les totalitarismes de gauche dits communistes ou staliniens. En effet, si vous osez employer cette expression, vos interlocuteurs risquent fort de penser que vous parlez d’un État qui impose l’athéisme de force sur la population en général et qui criminalise et réprime brutalement toute pratique religieuse. Mais cette définition est plus que tendancieuse; elle est complètement non recevable, car il s’agit d’une extrapolation à partir d’un échantillon ayant un seul élément : le modèle stalinien. D’ailleurs, même ce modèle n’était pas toujours draconien dans sa politique à l’égard des religions, adoptant parfois une attitude plus modérée.

En effet, le fait de gouverner une société sans références aux croyances surnaturelles n’implique en rien que les citoyens soient privés de leur liberté de conscience, y compris la possibilité de pratiquer une religion en privé ou avec leurs coreligionnaires. Au fait, les régimes communistes avaient davantage en commun avec la religion qu’avec l’athéisme. Méreau en dit autant :

La religion est donc un fascisme, un totalitarisme. C’est d’ailleurs le mal pervers du totalitarisme que de devenir une religion. Certes, l’interdiction de la religion pouvait être un viol des consciences, mais ce n’est pas l’athéisme d’État qui a conduit le bloc de l’Est au totalitarisme, c’est au contraire une déviance religiosisante, dans le culte de la personnalité et de la foi en l’infaillibilité du parti qui fait le totalitarisme. L’hitlérisme comme le stalinisme n’étaient pas autre chose que des cultes forcés et forcenés.

Nous, les athées, devons fournir notre propre définition d’athéisme d’État, selon nos valeurs à nous. D’ailleurs, il faut exiger de quiconque emploie ce terme qu’il en fournisse une définition claire ; sinon, il est difficile ou impossible de savoir de quoi il s’agit, car on peut envisager toute une gamme de systèmes de gouvernement qui seraient tous athées dans un sens ou un autre, mais très différents les uns des autres.

Alors, quelle définition en donne Méreau ? Son livre n’est pas un modèle de rigueur intellectuelle et malheureusement sa définition n’est pas explicite. Toutefois, il est évident de par sa façon d’en parler que pour lui l’athéisme d’État n’est autre chose qu’une laïcité forte dans une société où les athées et autres incroyants s’assument franchement, participent pleinement aux débats publics et ne laissent pas les religions imposer à autrui leurs visions surnaturelles du monde.

[…] l’État laïc, par essence, ne peut se concevoir que comme athée c’est-à-dire sans aucun lien organique ou philosophique avec une transcendance quelle qu’elle soit. Tout laxisme, par esprit de tradition ou par une tolérance mal comprise, est insupportable. La liberté et la force universelle de l’État tiennent à sa déconnexion d’avec toute croyance, à l’abolition de toute référence, la croyance étant strictement affaire personnelle comme le droit de consulter une voyante ou de faire tourner les tables.

Ce que propose Méreau est donc une laïcité républicaine, franche et rigoureuse, qui n’a pas peur d’assumer ses liens avec l’athéisme, voire de s’appuyer sur celui-ci.

Le programme de Méreau fera sûrement « freaker » bon nombre de militants laïques. Je sais par dure expérience que l’athéophobie est répandue et très forte même dans le milieu des incroyants engagés. Il est courant dans ce milieu de faire une distinction absolue entre athéisme et laïcité, tandis qu’en réalité les deux concepts sont étroitement liés, car le premier est à l’éthique personnelle ce qu’est la seconde aux systèmes de gouvernance. Cette situation où des militants laïques nient lâchement la réalité des liens entre athéisme et laïcité est lamentable et inacceptable. Il faut la changer et je ne peux qu’applaudir les efforts de Méreau, un peu maladroits peut-être, pour effectuer ce changement d’attitude si nécessaire à la protection et à la promotion de la laïcité et des valeurs des Lumières.

Communautés religieuses

Méreau semble mal comprendre le terme « communautarisme » et il emploie naïvement le mot « islamophobie » afin de critiquer ceux qui le dénoncent. Toutefois, il a très bien compris que le problème de fond est l’identification d’une communauté avec une religion et les dérives qui s’ensuivent.

Une certaine gauche bien pensante, amateur de boubous, couscous, djellabas et djembés, avec une certaine tendance au voyeurisme paternaliste, sous couvert de société multiculturelle, de droit à la différence, a confondu respect des différences avec complaisance envers le confessionnalisme. Elle s’y est empêtrée et ne sait plus comment en sortir. […]

Or le vrai danger c’est le confessionnalisme et ses dérives sectaires. Car la société laïque ne sait pas se défendre contre les intégrismes et les obscurantismes. Elle ne fonctionne plus comme rempart contre les déviances tant elle a développé un complexe de culpabilité face aux religions. Et cela, parce qu’elle ignore son courant presque majoritaire celui des sans dieux, les athées et les agnostiques. La seule communauté à ne pas être reconnue ou identifiée […]

Encore une fois, je ne peux qu’applaudir sa critique de cette complaisance d’une certaine gauche à l’égard des communautés religieuses. Au Québec, nous en avons vu tout récemment les dégâts qui s’ensuivent, lors du débat sur la Charte de la laïcité. Ceux et celles qui se sont opposés à cette Charte auront à répondre de leurs sottises.

La France, un phare affaibli

En tant que Français, Méreau s’inquiète de la situation dans son pays qui, pourtant, devait être une référence en matière de laïcité :

La laïcité à la française ne suffit plus. […] La France doit reprendre son rôle de phare et pour ce faire les athées doivent reprendre une part active au débat public. Sans laïcité forte, il n’y a pas de place pour l’athéisme pourchassé dans tous les États confessionnels même si ceux-ci ne sont pas des théocraties. Sans un athéisme fort, il n’est pas de laïcité vivante car, sans contre-pouvoir, les religions deviennent rapidement despotiques. Dès que la religion est trop présente, l’athéisme est bouc émissaire.

Finalement, à ce propos, il rappelle à ses compatriotes :

La majorité, c’est nous ! Les athées ! Les sans dieu !

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