Libres penseurs athées

Nadia Geerts

Le retour du voile et la laìcité d'État
Résumé détaillé

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Mon propos ne sera pas ici de faire un plaidoyer en faveur de l’athéisme –- bien que je sois personnellement athée, j’estime que c’est une conviction personnelle –- mais plutôt en faveur de la laïcité, entendue comme un principe d’organisation politique fondé sur la séparation des Eglises et de l’Etat, de la foi et du droit. M’étant beaucoup intéressée, ces dernières années, à la question des signes religieux et plus particulièrement du port du voile islamique, c’est de mes réflexions sur le sujet que je partirai, d’autant que cette question me paraît emblématique de l’articulation entre politique et religieux.

Ces dernières années, en Belgique comme je pense partout en Occident, ont vu une recrudescence inquiétante du port du voile. Inquiétante à plusieurs égards : D’abord parce que la question du voile, d’abord limitée aux élèves, s’est étendue rapidement à d’autres sphères : administrations, parlement –- avec l’arrivée au parlement bruxellois de la première députée voilée d’Europe -, enseignants, magistrature, etc. Ensuite parce que les voiles portés par les musulmanes sont non seulement de plus en plus nombreux, mais encore de plus en plus sombres, austères et couvrants –- avec l’apparition récente du comble du voile : le voile intégral –- et que les filles qui le portent sont de plus en plus jeunes : il s’agit parfois aujourd’hui de (très) petites filles.

Si d’aucuns ont pu croire un temps (et j’avoue avoir été de ceux-là) que le phénomène irait en diminuant au fur et à mesure que l’intégration des populations immigrées se ferait, force est de constater qu’il n’en est rien, et que la problématique n’est pas liée à des phénomènes migratoires : en Belgique, la plupart des jeunes musulmanes sont nées dans ce pays, comme souvent leurs parents, et ont adopté une pratique religieuse bien plus rigoriste que celle de leurs parents.

Parallèlement, il faut bien constater que tant les laïques que les féministes et les antiracistes se divisent sur cette question, soit par pragmatisme –- le but recherché étant l’accès à l’emploi ou l’émancipation, fût-ce au prix de quelques sacrifices sur le plan des principes –- soit par souci de ne pas stigmatiser une population déjà touchée par les discriminations diverses, soit encore par assimilation de la laïcité à une forme de neutralité bienveillante de l’Etat envers les religions. J’en viens ainsi à une premier principe, qui me semble fondamental pour naviguer entre les deux écueils qui menacent, à savoir le racisme déguisé en critique de l’islam(isme) d’une part, et le culturalisme –- ce respect inconditionnel de tout élément « culturel » perçu comme venu d’ailleurs - d’autre part : traiter toutes les religions sur un pied d’égalité, sans accorder à l’islam ce qu’on refuserait au christianisme, ni l’inverse. Mais quel devrait être ce pied d’égalité ? Il ne suffit pas de dire qu’il faut traiter toutes les convictions religieuses de la même manière, il faut encore définir comment les traiter, en d’autres termes quelle place leur accorder.

C’est ici que la laïcité me paraît être la ligne directrice à garder à l’esprit : la laïcité, à mon sens, impose à l’Etat une attitude que je qualifierais de « saine indifférence » envers les croyances religieuses. En d’autres termes, il s’agit de refuser de traiter les prescrits religieux comme devant jouir d’un surcroît de respectabilité par rapport à d’autres « choix » « individuels » (et je mets ces deux mots entre guillemets à dessein, s’agissant des convictions religieuses).

Mais ce n’est pas tout. Il s’agit aussi de préserver l’indépendance du politique, de l’Etat, de la sphère institutionnelle, par rapport au religieux, lequel a, on le sait, une fâcheuse tendance à s’immiscer dans le champ du politique.

La laïcité, en d’autres termes, me paraît un principe régulateur pour ce qui relève de la sphère institutionnelle : écoles publiques, administrations, hôpitaux publics, parlements, bureaux de vote, justice, armée, etc. sont des lieux où la séparation des Eglises et de l’Etat doit nécessairement, sous peine d’ingérence symbolique ou réelle du religieux dans le champ du politique, passer par l’interdiction de tout signe religieux, qu’il s’agisse d’un crucifix mural ou d’un voile porté par une représentante de l’Etat.

Le cas de l’école, à cet égard, est sensiblement différent, dès lors qu’il s’agit non pas de fonctionnaires publics, mais d’élèves, lesquels ne sont en principe pas astreints au devoir de neutralité des enseignants. Pourtant, l’expérience de terrain démontre que la revendication du port du voile par des élèves est trop souvent le point de départ d’autres revendications : contestation du contenu de certains cours, refus de la mixité, etc. Face à ces revendications qui menacent la cohésion sociale dans l’espace scolaire, qui le fragmentent en communautés repliées sur elles-mêmes et non soumises aux mêmes droits et obligations, il est indispensable de réaffirmer symboliquement que l’école n’est pas un lieu de pratique religieuse ni de prosélytisme ; qu’on y fait l’apprentissage de principes fondateurs du vivre ensemble, qui contredisent parfois les schémas véhiculés dans la famille, et c’est normal. Qu’à l’école enfin, garçons et filles ne sauraient être traités différemment en fonction de leur sexe.

On le voit, à l’argument de la laïcité s’ajoute ici un autre argument, celui du féminisme. Il faut bien reconnaître en effet que si le voile islamique déclenche tant de passions, c’est aussi parce qu’il n’est pas tout à fait un signe religieux comme les autres : c’est un signe qui n’est porté que par les femmes, et qui, définissant les relations de la femme musulmane avec les hommes qu’elle pourrait épouser, symbolise la pudeur de celle qui le porte et renvoie hommes et femmes à des rôles bien précis : aux femmes la pudeur, la réserve, la retenue, la charge de la respectabilité. Aux hommes la libido incontrôlable, la sexualité agressive, la charge de l’initiative… s’ils ne sont pas découragés par ce « fichu voile ». Cet aspect du voile explique pourquoi celui-ci ne saurait être considéré comme un simple bout de tissu ou une minijupe.

C’est en cela aussi que le voile a une dimension proprement politique. Avec lui, c’est toute une vision du monde, des rapports entre les hommes et les femmes, des rôles dévolus à chaque sexe, mais aussi de la place de l’islam –- d’un certain islam ! –- dans la société occidentale qui est véhiculée. N’oublions jamais, en effet, que le voile est aussi la première arme des islamistes, en premier lieu dans les pays musulmans, pour réislamiser des pays en voie de laïcisation.

Je voudrais pour terminer attirer l’attention sur l’importance de bien considérer la laïcité comme un principe définissant les relations entre les cultes et la sphère des institutions de l’Etat. Ceci a pour conséquence que la laïcité ne saurait être invoquée pour interdire aux gens le droit d’arborer leurs convictions religieuses dans les lieux publics –- rues, parcs, transports en commun, magasins, restaurants,… Si le voile intégral doit, selon moi, être interdit, ce n’est donc pas au nom de la laïcité, mais au nom de la dignité humaine et des valeurs fondatrices de la démocratie, valeurs dont cet accoutrement incarne la négation.


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