Libres penseurs athées

L'athéisme dans une civilisation humaniste
(Le Code pour une éthique globale)
Texte intégral

2 octobre 2010, Montréal, AAI-HC Convention

Rodrigue Tremblay, Ph.D.
professeur émérite
Université de Montréal
Auteur du livre
“Le Code pour une éthique globale, Vers une civilisation humaniste”
2009 [Les Éditions Liber, ISBN : 978-2895781738]
et de la version américaine
“The Code for Global Ethics, Ten Humanist Principles”
2010 [Prometheus Books, ISBN : 978-1616141721]

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« Quand le pillage devient un moyen d'existence pour un groupe d'hommes qui vit au sein de la société, ce groupe finit par créer pour lui-même un système juridique qui autorise le pillage et un code moral qui le glorifie. »

Frédéric Bastiat (1801-1850)

« La Bible est un manuel de mauvaises mœurs [qui] a une forte influence sur notre culture et même notre mode de vie ... C'est un catalogue de cruauté et de ce qu’il y a de pire dans la nature humaine. Sans la Bible, nous serions différents et les individus sans doute meilleurs. »

José Saramago, prix Nobel de Littérature, 1998

« Je pense que tout bien pesé l’influence morale de la religion a été horrible. Les honnêtes gens peuvent bien se comporter et les mauvaises gens peuvent faire le mal avec ou sans la religion ; mais pour que les gens honnêtes puissent faire le mal — il faut la religion. »

Steven Weinberg, prix Nobel de Physique, 1979

« Je pense que toutes les grandes religions du monde, le bouddhisme, l'hindouisme, le christianisme, l'islam et le communisme, sont à la fois fausses et nuisibles. [...] Je suis aussi fermement convaincu que les religions sont nuisibles que je le suis qu'elles sont fausses. »

Bertrand Russell (1872–1970), Prix Nobel de littérature en 1950, 1957, (tiré de My Religious Reminiscences)

« Le fondement essentiel des connaissances religieuses, dans une perspective évolutive, n'est pas la théologie, mais la pratique de règles de comportement morales, militaires et reproductifs, la sagesse collective de dirigeants passés et présents, concernant les principes de base susceptibles d'assurer la survie de la société ... Au-delà de son rôle dans le renforcement du tissu social, la religion exerce une influence culturelle qui est en effet devenu un facteur déterminant des grandes civilisations du monde. »

Nicholas Wade
(The Faith Instinct: How Religion Evolves and Why it Endures)


Résumé

Nous vivons présentement une époque trouble. Il semble, en effet, que le contexte moral environnant se détériore au moment même où les problèmes sont de plus en plus globaux et au moment où les sentiments religieux semblent être en hausse dans certains pays, dont le pays le plus lourdement armé de la Terre, les États-Unis. Corruption politique, abus de pouvoir, mépris pour la primauté de la règle de droit, avidité incontrôlée, fraude et tromperie dans le domaine économique, graves crises économiques, inégalités sociales grandissantes, intolérance envers les choix individuels, scandales d'abus sexuels dans des organisations religieuses, mépris pour les problèmes environnementaux chez plusieurs, retour des absolutismes religieux, recours aux guerres d'agression (ou aux guerres préventives) et au terrorisme aveugle, ce sont là autant d'indicateurs que notre civilisation est présentement menacée.

Qu'est-ce que l'humanisme, au-delà de la sécularisation de la vie publique, peut contribuer au chapitre des idées, des concepts et des principes pour éviter que l'on revienne à une ère d'obscurantisme ? Tout particulièrement, quel devrait être le champ d'application de l'empathie humaine en cet âge de mondialisation ? —En fait, quels sont les principes humanistes universels de base d'éthique humaine ? Pourquoi ne sont-ils pas plus largement acceptées et appliquées ? Comment peut-il être démontré qu'ils sont supérieurs à tout code d'éthique à base religieuse ? Et, finalement, que devons-nous faire pour créer une civilisation vraiment humaniste ?


I- Préambule sur l'histoire du Québec : une théocratie larvée de 1840 à 1940

Le Québec a vécu l'expérience de cent ans de théocratie larvée, de 1840 à 1940, soit une période qualifiée de la Grande Noirceur dans son histoire. Ce fut une période, après la révolte manquée contre l'occupant britannique en 1837-39, au cours de laquelle l'Église catholique prit de facto le contrôle de tout ce qui était important dans la vie collective sociale au Québec, à l'exception de la sphère économique et de la grande politique : éducation (tout en s'opposant à l'école obligatoire), hôpitaux, orphelinats, institutions d'assistance ou de réhabilitation, de sanatoriums et des hospices,..., etc.

Pour mieux être dans les bonnes grâces de l'empire britannique, les dirigeants de l'église catholique du temps se hâtèrent d'excommunier les leaders patriotes de l'insurrection afin de prendre leur place dans le restant de vie politique autonome que l'occupant voulait bien leur concéder.

Nos évêques indigènes du temps furent alors de fidèles serviteurs de deux empires étrangers : l'empire britannique qui occupait militairement le Québec à ce moment-là et l'empire romain catholique de Rome à qui ils devaient leur première allégeance.

La théorie religieuse de la politique du temps était à l'effet que le pouvoir politique venait de Dieu et que les autorités royales ou impériales en étaient les détenteurs légitimes. Le peuple n'avait aucun droit à l'auto-gouvernance.

C'est ainsi que le 25 juillet 1837, Mgr Jean-Jacques Lartigue (1777-1839), premier évêque de Montréal, déclara ce qui suit à l'endroit des Patriotes : « Il n'est jamais permis de se révolter contre l'autorité légitime, ni de transgresser les lois du pays ; ...il (n'est pas) permis de se révolter contre le gouvernement sous lequel nous avons le bonheur de vivre... » Pour lui, « l'autorité royale vient de Dieu. » —Point à la ligne. Et Dieu aime les rois et les reines ! Ceci explique pourquoi après leur défaite, il se hâta d'excommunier les Patriotes, dont douze furent pendus, ajoutant ainsi l'injure à la trahison.

Par conséquent, le pouvoir politique n'était pas seulement le fait des occupants britanniques. L'église catholique et la hiérarchie catholique canadienne revendiquaient pour elles-mêmes une part importante du pouvoir politique séculier.

Mgr Louis-François Laflèche (1818-1898), bras droit de Mgr Ignace Bourget (1799-1885) fut parmi les premiers à affirmer que les Canadiens français (les Québécois d'alors) constituent une nation catholique, qu'ils ont une mission providentielle à remplir, et qu'en conséquence, ils doivent d'abord à leurs évêques, chefs de droit divin de cette société sacrale, la soumission la plus absolue, tant sur le plan des affaires temporelles que sur le plan proprement spirituel, en-deçà bien-sûr de la soumission obligatoire aux occupants militaires.

II- Les États-Unis d'aujourd'hui et la religion

Et aux États-Unis, même aujourd'hui et malgré la Constitution américaine d'essence laïque (voir l'Article VI), il y a des politiciens américains et des évangélistes qui proposent ouvertement que les États-Unis deviennent ce qu'était le Québec au 19ème siècle, soit une société théocratique larvée. Voici ce qu'un vice-président américain déclarait en 1988 :

"Je ne pense pas que les athées devraient être considérés comme des citoyens ; ils ne devraient pas être considérées comme des patriotes. Nous sommes une nation sous le regard de Dieu. "

George H. Bush, le 27 août 1988
(Déclaration contraire à l'article VI, section iii
de la Constitution américaine :
« Aucun test de foi religieuse ne sera jamais exigé comme condition d'aptitude pour un poste ou une charge publique dans ces États-Unis. »)

Différences entre le Canada et les États-Unis concernant les connaissances scientifiques

La société de sondage Angus Reid divulgua en juillet dernier (2010), les résultats d'un sondage mené l'an dernier (2009) dans lequel on demandait à des Américains, des Canadiens, et des Britanniques quels étaient leurs points de vue sur les origines et le développement des êtres humains.

Voici les résultats en résumé :

Canada USA Royaume-Uni
Les êtres humains ont évolué vers des formes plus évoluées de vie au cours de millions d'années 61%
(Québec : 66%)
(Alberta : 51%)
(Saskatchewan : 50%)
34% 66%
Dieu a créé les êtres humains dans leur forme actuelle au cours des derniers 10,000 ans 24%
(Québec : 17%)
(Alberta : 31%)
(Saskatchewan : 39%)
47% 16%
Pas certain 15% 18% 15%

Résultats américains par région :

USA Nord-est Mid-ouest Sud Ouest
Les êtres humains ont évolué vers des formes plus évoluées de vie au cours de millions d'années 34% 43% 37% 27% 38%
Dieu a créé les êtres humains dans leur forme actuelle au cours des derniers 10,000 ans 47% 38% 49% 51% 45%
Pas certain 18% 19% 13% 21% 16%

Source : “Americans are Creationists; Britons and Canadians Side with Evolution”, Angus Reid Public Opinion, 2010

En général, plus les personnes sont jeunes et plus elles sont éduquées, plus elles acceptent les connaissances scientifiques sur l'évolution. À l'inverse, par contre, plus les personnes sont âgées et moins elles sont instruites, plus elles acceptent la fable créationiste.

III- Les faiblesses des religions établies

Depuis une dizaine d'années, de nombreux auteurs se sont appliqués à démontrer le caractère irrationnel et même destructeur des religions, dont on en dénombre quelque 1,250 selon certains statisticiens et plus de 4,000 selon d'autres. Il faut remercier les Dawkins, Harris, Stenger, Onfray et autres pour leur génie et pour leur courage pour avoir dénoncé les travers des religions, et pour avoir exposé la vacuité de la pensée religieuse.

Mais, cela ne suffit pas. Il faut davantage et pour deux raisons.

Comme pour tout ce qui relève des sentiments et de l'émotion, et non de la raison, les faits et les arguments abstraits réussissent rarement à changer les esprits. En fait, cela peut produire l'effet contraire : Démontrez à quelqu'un que ses croyances sont fausses, et il s'accrochera encore davantage à ces mêmes croyances. Des expériences scientifiques ont démontré cette réalité psychologique chez une proportion élevée d'individus.

Ainsi, dans une série d'études réalisées en 2005 et 2006, des chercheurs de l'Université du Michigan ont observé que lorsque des gens mal informés furent exposés à des faits véridiques, ils changèrent rarement d'avis. En fait, souvent ils devinrent encore plus fortement ancrés dans leurs convictions.

En effet, surtout dans le domaine religieux mais aussi dans le domaine politique, ce n'est pas la réalité qui influence les croyances, mais ce sont les croyances qui dictent une perception particulière et souvent fautive de la réalité. Dans un tel contexte, des arguments rationnels démontrant les faussetés de certaines croyances ont peu de chances d'influencer beaucoup de monde.

Personnellement, je parle rarement de l'athéisme comme tel dans mes livres récents. J'aborde plutôt la question sous l'angle général d'une éthique humaniste, laïque et autonome, tout en soulignant les conséquences individuelles et sociales négatives des religions établies, aujourd'hui bien sûr, mais aussi tout au long de l'histoire.

Par exemple, dans “Le CODE pour une éthique globale” (Liber, 2009), je formule un certain nombre de critiques fondamentales à l'endroit des religions établies, en mettant l'accent sur les travers des trois religions dites abrahamiques que sont le judaïsme (la Torah), le christianisme (la Bible) et l'islam (le Coran).

Essentiellement, je reproche à ces trois grandes religions d'être en contradiction directe avec les connaissances scientifiques développées depuis quatre siècles. En effet, la vision que les êtres humains se faisaient d'eux-mêmes quant à leur place dans l'Univers a été à tout jamais chambardée par trois percées scientifiques fondamentales :

J'ajouterais aussi que les recherches en cours sur le fonctionnement du cerveau humain ont jeté une lumière nouvelle sur la façon dont certains phénomènes psychiques, comme certains types de pensées, y compris les pensées religieuses, sont générés dans des zones différenciées du cerveau, une indication que tous les phénomènes psychiques originent du cerveau.

Par conséquent, personne ne peut plus prétendre aujourd'hui que la planète Terre est le centre de l'Univers ; personne ne peut prétendre que les humains sont uniques dans l'échelle biologique des êtres ; personne ne peut plus prétendre que le corps humain et l'esprit humain sont deux entités indépendantes.

Or, ces grandes religions établies continuent de professer que :

  1. l'être humain a été placé au centre de l'Univers par des forces divines mystérieuses—certains disent, faussement, il y a 6 000 ans ;
  2. l'esprit humain est une entité indépendante du corps humain. (Une telle distinction n'a aucun fondement scientifique) ;
  3. il est permis de persécuter et même de tuer les membres d'autres religions ou philosophies, en certaines circonstances, en se fondant sur le mythe de soi-disant races ou « peuples élus » ;
  4. il existe une éthique pour les individus en tant qu'individus et une autre pour les chefs d'état ;
  5. et que les gens doivent faire reposer leur comportement sur la peur de châtiments éternels dans une sorte d'« enfer » extraterrestre. (Cette idéologie de l'enfer, à cause de la haine et de l'exclusion qu'elle a pu susciter contre les « autres » a été une cause importante de persécutions, de guerres de religion et même de génocides tout au long de l'histoire humaine.)

Disons donc que la foi religieuse dans les choses sans l'aide de l'évidence est source de folie pour l'homme.

À cause de ces erreurs fondamentales, j'en arrive à renverser la position d'Emmanuel Kant sur la religion. Si vous vous souvenez bien, Immanuel Kant (1724-1804), dans son analyse des religions, est arrivé à la conclusion paradoxale que, même si les fondements philosophiques des religions établies étaient faux, il était néanmoins nécessaire de les accepter (les religions), parce qu'elles étaient une source nécessaire de morale pour les êtres humains.

Je suis d'accord avec Kant que les religions sont généralement basées sur des croyances fausses et sur des mythes irrationnels. Cependant, contrairement à Kant, qui vécut au 18e siècle, mon analyse des codes fondés sur la religion de l'éthique m'a conduit à la conclusion qu'ils sont fondamentalement, soit déficients ou, à tout le moins insuffisants, sinon incomplets, pour une humanité qui doit vivre et survivre dans le contexte actuel du rétrécissement de la Planète.

Ainsi, ma première conclusion est à l'effet que les grandes religions établies, loin d'être une source fiable de valeurs morales, sont plutôt aujourd'hui une menace morale pour l'humanité.

IV- La force des religions établies : ne pas sous-estimer l'attrait pratique des religions

La nature ne tolère pas le vide. Or, il faut reconnaître que les religions ont joué un rôle important, sinon central, dans l'évolution humaine, et qu'elles continuent à fournir à une foule de gens des services personnels et sociaux importants.

C'est pourquoi il est important de réaliser que les raisons qui poussent les gens à adhérer aux religions établies ne sont pas avant tout théologiques mais plutôt pratiques et terre-à-terre. Je dirais que les religions établies sont utiles, dans l'esprit de certaines personnes, pour au moins quatre raisons.

  1. Elles sont utiles, d'abord et avant tout, pour une raison émotionnelle et sociale, c'est-à-dire que les personnes ont un instinct naturel d'appartenance et d'adhésion à un groupe, bien au-delà de toutes propositions métaphysiques. En effet, les êtres humains sont des animaux sociaux et ils ont un penchant naturel à faire partie d'un groupe ou d'une communauté. C'est une condition de survie.

    Or, dans de nombreuses sociétés, les organisations sociales les plus importantes sont les organisations religieuses. En fait, dans ces sociétés, on s'attend à ce qu'un individu fasse automatiquement partie de la religion dominante qui lui procure une identité et qui offre des rites et des services de toutes sortes.

    C'est pourquoi, de tout temps, les dirigeants politiques ont vu dans la religion un outil sans pareil pour créer la cohésion et l'unité au sein du pays ou de l'empire. C'est aussi une des raisons pour laquelle aussi, dans le passé, les dirigeants politiques ont souvent agi en tant que chefs religieux. Ils y trouvaient légitimité et soutien.
  2. La deuxième raison est plus rationnelle. Dans de nombreux pays pauvres, la religion est un fournisseur de la protection sociale et une assurance contre la peur et l'incertitude.

    En effet, pour certaines personnes, en particulier les pauvres et les défavorisés, une raison importante d'adhérer ou de demeurer membres actifs d'une religion établie est de recevoir des services sociaux concrets et différentes formes d'assistance, à un faible coût, y compris les rites de passage tout au long de la vie (naissance, mariage, mort, etc.).

    Lorsque les gouvernements sont corrompus ou parfois presque inexistants, il est compréhensible que des religions établies puissent elles-mêmes devenir une forme de gouvernement, dispensant divers services dans les domaines de l'éducation, de la santé ou de l'assistance sociale. Ce sont là des avantages tangibles. Cela n'a rien à voir avec l'idéal métaphysique d'un au-delà idyllique, mais beaucoup plus à faire avec un soutien social réel

    La leçon ici est à l'effet que dans de nombreux pays, les organisations religieuses sont en concurrence directe avec les institutions publiques officielles, et quand ces dernières sont absentes, incompétentes ou corrompues, l'organisation religieuse prend leur place. Vues sous cet angle, les religions établies sont des organisations éminemment politiques.
  3. Une troisième raison qui pousse certaines personnes vers les religions établies est davantage émotionnelle, et c'est la promesse, que certains trouvent irrésistible, d'une autre vie après la mort. Et ceci se comprend parfaitement.

    L'homo sapiens que nous sommes semble être la seule espèce dont les membres savent qu'ils vont mourir un jour. Ainsi, il est compréhensible qu'il y ait une demande pour toutes sortes de trucs qui peuvent aider à faire face à cette dure réalité. La religion est une forme bon marché d'une thérapie contre l'angoisse. Elle fournit une sorte de sérotonine contre l'angoisse face à la mort.

    En effet, le cerveau humain a beaucoup de difficulté à accepter l'idée de la mort. Il se révolte même contre cette idée. Le fait d'apaiser cette peur naturelle de la mort est donc une contribution fort utile des religions. Même s'il s'agit d'une grande supercherie, peut-être la plus grande de toute l'histoire humaine, il faut reconnaître son pouvoir d'attraction. C'est pourquoi, à mon avis, les religions tout comme les vendeurs de poudre perlimpinpin ont encore un avenir prometteur auprès des personnes peu instruites.
  4. Enfin, comme je l'ai mentionné précédemment, il existe une quatrième raison plus rationnelle de s'accrocher à la religion : Les gens peuvent avoir des doutes sérieux sur les promesses métaphysiques des religions, mais ils peuvent néanmoins vouloir se raccrocher à la religion parce qu'elle est une source de principes moraux à suivre ou à être enseignés aux enfants.

    C'est à cette quatrième supposée contribution des religions que je m'attaque dans mon livre. Au chapitre de l'éthique et de la morale, à tout le moins, je pense qu'il existe des substituts supérieurs à tout ce que peuvent offrir les religions établies.

    Sur ce point, les humanistes ont longtemps prétendu que la morale est une préoccupation strictement humaine et qu'elle doit se concevoir indépendamment des croyances religieuses et de leurs dogmes. Cela ne fait pas disparaître la dure réalité de la mort, ni l'obligation d'avoir des gouvernements compétents en matière sociale, ni celle d'avoir des organisations humanitaires pour encadrer les évènements de la vie, mais au moins, au chapitre de la moralité, l'humanisme est un substitut supérieur à tout ce que les religions établies peuvent offrir.

Une moralité humaine supérieure

Tout cela m'a conduit, d'une part, à me demander ce que serait une civilisation véritablement humaniste, fondée sur des valeurs humanistes et non pas religieuses ? Et si, comme je pense, ces valeurs humanistes sont supérieures à tout autre système moral, pourquoi se fait-il que le monde n'adopte pas les principes humanistes de base et semble plutôt vouloir emprunter la voie dangereuse des visions religieuses et absolutistes du monde ?

Permettez-moi de répondre rapidement à la première question de ce qui serait une civilisation humaniste.

En tout premier lieu, le champ d'application de l'empathie humaine serait universel et global et ne se limiterait point à certaines personnes élues, aux membres d'une religion en particulier ou aux personnes appartenant à une civilisation particulière

En pratique, cela exigerait que nous établissions un seuil plus élevé de morale humaine qui soit au-dessus de la norme traditionnelle de la règle d'or (« Traitez les autres comme vous voudriez que les autres vous traitent. ») Ceci exige, en fait, que nous adoptions ce que j'appelle une règle d'or suprême de moralité humaniste laquelle incorpore la règle humaniste d'empathie et que l’on peut formuler de la manière suivante : « Non seulement faites aux autres comme vous voudriez qu'ils vous fassent, mais aussi, faites aux autres ce que vous aimeriez qu'on fasse pour vous, si vous étiez à leur place. » —Bien entendu, le corollaire s'applique, c'est-à-dire : « Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fasse, si vous étiez à leur place. »

[Comme on le voit, on est loin de la règle implicite que l'ancien président américain George W. Bush semble avoir suivie quand il était au pouvoir : « Faites aux autres avant qu'ils ne vous le fassent à vous ! »]

Il s'agit d'un principe moral qui exige que l'on juge si un acte est moral ou non comme si nous ne savions pas à l'avance si elle s'applique à nous ou à d'autres. C'est un concept qui est étroitement lié au fameux « voile d'ignorance » de John Rawls en tant que fondement de la justice distributive.

Ainsi, le racisme est mauvais parce que nous ne voudrions pas que les gens nous traitent mal si nous étions d'une autre race ; le sexisme est mauvais parce que nous ne voudrions pas être maltraités si nous étions d'un autre sexe ; la torture est mauvaise parce que nous ne voudrions pas être torturés, etc.

Dans une telle civilisation,

Comme on le voit, de toute évidence, nous ne vivons pas actuellement dans une civilisation humaniste. Pourquoi ?

Par exemple, après la Seconde Guerre mondiale et l'adoption de la Charte des Nations Unies et la proclamation de la Déclaration universelle des droits de l'homme, on a cru qu'une civilisation humaniste pourrait remplacer le totalitarisme politique et la sauvagerie des guerres de la première partie du 20e siècle. On sait aujourd'hui que ce ne fut pas le cas, car les guerres et les génocides ont continué comme si rien n'était.

Les vieux démons du fascisme et du communisme sont moins prévalents, mais ils semblent avoir été remplacés dans nos pays par une nouvelle forme de corporatocratie ou de corpocratie, c’est-à-dire une forme de gouvernement parallèle par lequel les dirigeants des grandes entreprises, des banques, des conglomérats, et d'autres organisations prennent le contrôle réel du processus électoral, des médias, et même des tribunaux et des gouvernements. On pourrait aussi qualifier ce genre de système de ploutocratie, ce qui est en soi une forme de fascisme.

VI- Conclusion

Je suis d'avis que l'athéisme en tant que négation des lubies surnaturelles a une place dans nos sociétés. Cependant, les organisations religieuses sont beaucoup plus que des vendeurs de sérotonine pour calmer l'anxiété de la mort. Si elles doivent être remplacées en temps et lieu, et je crois qu'à tout prendre elles ont présentement une influence nette négative sur l'évolution de nos sociétés et sur celle de l'humanité tout entière, il faut leur trouver un remplacement. Il faut, en autres, que les services concrets qu'elles procurent proviennent de d'autres instances. En matière d'éthique et de moralité, en tout cas, je crois que l'humanisme leur est un substitut bien supérieur.


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