L’exception religieuse en matière de discours haineux a assez duré

Ce texte est paru dans La Presse du 3 décembre 2024 sous le titre Discours haineux et exception religieuse : Une position intenable qui a assez duré.

Un communiqué de presse sur le même sujet est paru aussi dans L’Aut’journal sous le titre Pour l’abrogation de l’exception religieuse en matière de discours haineux.

Nadia El-Mabrouk, Etienne-Alexis Boucher, David Rand, Marie-Claude Girard, François Dugré, Lyne Jubinville, Raphaël Guérard et Lucie Jobin, membres du Rassemblement pour la laïcité (RPL)

Date de publication : 2024-12-03

Nous appuyons sans réserve la demande faite par le ministre de la Justice du Québec Simon Jolin-Barrette à son homologue fédéral Arif Virani d’abroger l’exception religieuse en matière de propagande haineuse dans le Code criminel. Il s’agit des alinéas 319(3)b et 319(3.1)b stipulant que nul ne peut être déclaré coupable de fomenter volontairement la haine contre un groupe identifiable s’il « a, de bonne foi, exprimé une opinion sur un sujet religieux ou une opinion fondée sur un texte religieux auquel il croit, ou a tenté d’en établir le bien-fondé par argument ».

Cette protection particulière accordée au discours religieux susceptible de fomenter la haine est non seulement injustifiable dans un État de droit, mais il est surtout dangereux. Il est d’ailleurs très probable que ce soit cette exception du Code criminel qui ait guidé la décision de la DPCP de renoncer à la poursuite d’Adil Charkaoui pour avoir, lors d’une manifestation à Montréal, prié Allah de « recenser et exterminer » tous les « ennemis du peuple de Gaza ». Dans le contexte extrêmement tendu de la guerre entre Israël et le Hamas, il est particulièrement important de se donner les moyens de réprimer toute tentative d’importation de la haine ici au Québec et au Canada, et pour commencer, de ne pas laisser aux agitateurs la possibilité de se disculper sous couvert de leur religion.

Ce n’est pas la première fois que la société civile se lève contre cet article inique du Code criminel, tant s’en faut. En 2017-2018, plus de 1500 personnes avaient déjà demandé l’abrogation de cette exception religieuse en déposant alors une pétition à la Chambre des communes. La réponse du gouvernement avait été inadéquate, la ministre de la Justice ayant cité une version antérieure de l’alinéa, ce qui lui permettait d’éluder la question.

En effet, loin d’être abrogé, l’exemption religieuse a été renforcée en 2003 par le projet de loi C-250 qui a entraîné le rajout de la protection contre les discours fondés sur un texte religieux. Outre cette modification, la loi se limitait à une seule autre réforme : l’ajout de l’orientation sexuelle à la liste des groupes identifiables protégés contre la propagande haineuse. Peut-on croire à une simple coïncidence? Comment ne pas y voir le souci de calmer les inquiétudes religieuses de certains députés insatisfaits de la nouvelle protection octroyée à l’orientation sexuelle? On ne peut envisager un mobile moins légitime ou plus cynique que celui-là!

Il faut noter que la demande du ministre Simon Jolin-Barrette fait écho au projet de loi déposé par le Bloc québécois sur cette même question à la Chambre des communes en novembre 2023, puis redéposé en février 2024, mais qui n’a toujours pas été retenu pour examen. Ce mutisme de la part des élus fédéraux est troublant. Ont-ils un malaise à reconnaitre les limites de la liberté religieuse? Elle ne devrait, en aucun cas, servir à exempter des propos qui fomentent la haine ou le génocide. C’est une position qui devrait pourtant faire consensus.

L’exception religieuse en matière de discours haineux a assez duré et il est plus que temps d’y mettre fin. Cet article du Code criminel qui n’a aucune justification rationnelle, est inconciliable avec une société de droit démocratique et laïque, et représente une position intenable pour un gouvernement qui veut faire de la lutte contre le discours haineux une priorité.


Voir aussi :


2 commentaires sur “L’exception religieuse en matière de discours haineux a assez duré
  1. Loyola Leroux dit :

    Pourquoi ne pas s’attaquer aussi au  »nerf de la guerre, les Vraies affaires », les taxes religieuses sur la nourriture et les exemptions de taxes municipales et autres ?

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