La Cour d’appel et la prière au Saguenay

La Cour d’appel du Québec bafoue la laïcité

David Rand, 30 mai 2013

La Cour d’appel du Québec vient de donner raison au maire Jean Tremblay dans le dossier de la prière lors des séances publiques du conseil municipal de la Ville de Saguenay. Dans un jugement rendu le 27 mai 2013, la Cour rejette la décision du Tribunal des droits de la personne, rendue le 9 février 2011, que la Ville et son maire avaient porté atteinte de façon discriminatoire aux droits du citoyen Alain Simoneau qui s’était plaint de la récitation d’une prière au début de chaque séance, ainsi que de la présence de symboles religieux dans les salles où se réunit le conseil. M. Simoneau était soutenu par le Mouvement laïque québécois.

Ce résultat nous convainc, s’il en était toujours besoin, de la nécessité d’une charte de la laïcité. D’ailleurs, l’absence d’une telle charte fait partie des motifs des la décision. « Or, il n’existe pas au Québec une telle chose appelée charte de la laïcité » écrit le juge Gagnon. Il s’ensuit qu’il s’en remet à sa propre compréhension du concept de neutralité religieuse, et cette compréhension s’apparente fortement au célèbre multiculturalisme canadien.

Les motifs du juge Gagnon, qui représentent 80% de cette décision d’une quarantaine de pages, se lisent comme un manifeste de la laïcité dite « ouverte » – c’est-à-dire, celle qui n’est pas laïque car elle admet l’ingérence de religions dans le fonctionnement de l’État – avec ses sempiternelles références à la « diversité culturelle », au « patrimoine religieux », aux « valeurs de tolérance et d’ouverture à la diversité » et aux « repères historiques » pour justifier le maintien de traditions plus que douteuses. Ainsi, la laïcité, la vraie, celle qui se passe d’adjectif, est affublée généralement par le bon juge du qualificatif « intégrale » ou caricaturée comme « laïcité tous azimuts ». Daniel Baril, qui témoignait pour M. Simoneau et le MLQ en qualité d’expert en anthropologie est qualifié de « propagandiste d’une idéologie » et son expertise écartée comme s’apparentant « à une forme d’absolutisme ». Pourtant, son analyse est basée sur l’anthropologie du rituel religieux et non sur un point vue de militant laïque.

Le juge adhère à l’opinion de la théologienne Lefebvre, experte témoignant pour le Ville et le maire, que la prière contestée – qui s’adresse à « Dieu tout puissant » – « s’inscrit dans une modernité théiste, qui appréhende un être supérieur comme référence et fondement des états libres et démocratiques […] » Même si le juge critique le maire Tremblay pour son intransigeance et son manque de réserve élémentaire, il maintient que l’utilisation de cette prière théiste ne porte pas atteinte aux valeurs d’un individu humaniste athée. Pourtant, les propos de Tremblay indiquent clairement la nature catholique et sectaire de ses gestes.

On reproche au plaignant Alain Simoneau qu’il « n’est pas véritablement incommodé par le récit de la prière » et qu’il « garde le silence par respect ». Le juge aurait-il préféré que le plaignant gueule à tue-tête durant la prière afin de bien prouver l’atteinte à ses valeurs personnelles ? M. Simoneau a eu l’intégrité de dire que ce n’est pas la prière en soi qui le fatigue, mais plutôt « que cela n’a pas sa place dans la salle du conseil ». C’est-à-dire que, pour lui, il ne s’agit pas d’une injure personnelle mais d’une question de principe, un principe que la Cour refuse de reconnaître.

Afin de justifier cette pratique religieuse dans les affaires municipales, le juge établit une liste de violations flagrantes du principe de la laïcité au Québec et au Canada : la mention de « la suprématie de Dieu » dans le préambule de la Charte canadienne ; la garantie constitutionnelle des écoles confessionnelles séparées ; la décision de laisser le crucifix dans le salon bleu de l’Assemblée nationale du Québec ; les références théistes dans l’hymne national du Canada ; la croix blanche ornant le drapeau du Québec ; et ainsi de suite. Ces exemples se légitiment mutuellement, chacun renforçant les autres. Tout se justifie par un souci de « mémoire historique ». Encore selon le juge Gagnon, supprimer les pratiques et symboles religieux dans les institutions publiques constituerait une sorte d’Alzheimer historique !

Le bon juge semble avoir une notion bien drôle de l’histoire et une mémoire sélective. Le but de la laïcité à laquelle il s’oppose avec entêtement n’est pas d’effacer l’histoire, mais, au contraire, d’en tirer des leçons importantes. Cette tradition religieuse si précieuse au maire de Saguenay a été l’agent du plus écrasant obscurantisme durant l’histoire du Québec. Si cette tradition est porteuse de « valeurs historiques », n’oublions pas combien ces valeurs ont été nuisibles.

En somme, l’adoption formelle d’une charte de la laïcité au Québec est urgente. Comme Djemila Benhabib l’a si bien exprimé, une référence formelle et explicite à la laïcité dans la législation québécoise est le seul moyen efficace d’arrêter ce genre de dérive lamentable dont la récente décision de la Cour d’appel du Québec nous donne un triste exemple. Si nous laissons aux catholiques ces privilèges, ces prières, ces crucifix et autres symboles dans l’appareil d’État, de quel droit pourrions-nous refuser les accommodements que les autres religions ne tarderont pas à exiger, ou exigent déjà ? Il faut arrêter les dégâts.

David Rand
président
Libres penseurs athées


Imprimer cette page Imprimer cette page