Déclaration pour une fonction publique laïque

Cette déclaration est une prise de position officielle de LPA. Nous sollicitons la signature de toute autre association au Canada qui appuie la laïcité dans but de bâtir une coalition pan-canadienne pour une fonction publique laïque.

Cette déclaration est aussi disponible sous forme PDF.

Déclaration pour une fonction publique laïque

2 décembre 2015

Nous, les soussignés, affirmons par cette déclaration notre appui pour la laïcité dans la fonction publique du Canada au niveau fédéral ainsi que dans les fonctions publiques de toutes les provinces et tous les territoires du pays. Nous affirmons en particulier que la laïcité implique que non seulement les structures physiques qui hébergent ces fonctions publiques mais aussi les fonctionnaires qui y travaillent doivent être neutres en matière de religion et libres de toute influence religieuse et de tout symbole religieux. Afin de parvenir à cette fin, et les structures et les fonctionnaires doivent éviter tout sectarisme religieux en s’abstenant d’afficher tout symbole ou tout signe religieux que ce soit. Tout symbole ou signe d’appartenance ou d’adhésion à une communauté religieuse particulière ou à des croyances religieuses particulières doit être interdit. Ainsi, chaque fonctionnaire, lorsqu’il ou elle est au travail, doit s’abstenir d’agir ou de porter un vêtement ou des accessoires ou ornements qui indiqueraient manifestement l’appartenance de cet individu à une religion ou communauté religieuse particulière. Nous appelons ce devoir l’obligation de réserve religieuse du ou de la fonctionnaire.

Cette obligation de réserve religieuse ne s’appliquerait qu’aux fonctionnaires en service. Elle ne s’appliquerait ni aux membres du public qui sont les utilisateurs des services publics, ni aux fonctionnaires en dehors de leurs heures de travail.

Cette mesure est nécessaire afin de protéger la liberté de conscience de tous, y compris les employés, les employées et les utilisateurs des services publics. La liberté de conscience comprend à la fois la liberté de religion et la liberté de s’affranchir de la religion. Elle englobe donc le droit des adeptes d’une religion de pratiquer celle-ci ainsi que le droit des incroyants d’utiliser les services publics sans que des agents de l’État, qui assurent ces services, fassent, de par leur comportement ou leur tenue, la promotion de pratiques ou de croyances religieuses, comme si l’État endossait ces pratiques ou croyances.

L’obligation de réserve religieuse constitue une limitation raisonnable de la liberté d’expression des fonctionnaires en service, mais cette obligation ne menace nullement leur liberté de religion car elle ne s’applique que durant les heures de travail. Les emplois qui imposent certaines contraintes sur la tenue ou le comportement sont courants. Il est tout à fait raisonnable qu’un gouvernement fédéral, provincial ou territorial—qui a le devoir de servir tous les citoyens et toutes les citoyennes sans égard à leur religion—exige la neutralité religieuse et une réserve religieuse de leurs fonctionnaires dans le but de servir les citoyens et les citoyennes de façon équitable.

Il existe une définition bien plus restreinte du terme « neutralité religieuse », une définition qui ne fait intervenir que le comportement de l’individu, sans tenir compte de la tenue et des signes que cet individu peut porter. Nous rejetons cette définition restreinte car nous la considérons inadéquate et incomplète. Pour une vraie neutralité, il est indispensable que tout signe ou vêtement religieux ostentatoire soit aussi interdit durant les heures de travail car ces symboles et vêtements véhiculent un message qui compromet la neutralité de la personne qui les porte. À titre d’exemple, plusieurs religions, ou du moins plusieurs tendances de celles-ci, prônent l’infériorité de femmes par rapport aux hommes, l’homophobie, le reniement de la liberté de conscience ou pire encore. Au fait, ce sont les religions elles-mêmes qui ont généralement engendré les plus importants auteurs de la persécution religieuse, incluant parfois même la criminalisation de l’apostasie. Pour cette raison, entre autres, le port, par un ou une fonctionnaire au travail, représentant de l’État, d’un symbole d’une religion dont les préceptes peuvent être incompatibles avec les droits humains fondamentaux, constitue une violation de la neutralité religieuse et équivaut à une discrimination exercée contre non seulement les athées et les autres incroyants, mais aussi contre les adhérents d’autres religions, voire contre les adhérents de cette même religion qui peuvent ne pas être d’accord avec ces préceptes.

L’urgence d’imposer cette obligation de réserve religieuse est soulignée par la nécessité de dissiper l’ambiance toxique dans laquelle la question de la laïcité est actuellement embourbée. Cette toxicité est le résultat de l’opposition à la législation laïque proposée par le précédent gouvernement du Québec, une opposition qui poursuit encore sa propagande anti-laïque. En effet, la Charte de la laïcité (ou, plus formellement, la « Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement ») proposée par le gouvernement québécois en novembre 2013 (et morte lorsque ce gouvernement a été défait en avril 2014) a suscité des réactions extrêmement hostiles et malhonnêtes, surtout en dehors du Québec. Cette hostilité était l’expression de deux préoccupations : (1) le parti qui proposait cette Charte était un parti souverainiste et (2) cette Charte mettait en cause certains parti-pris au sujet de la liberté de religion, des parti-pris motivés par le soi-disant « multiculturalisme ».

En réalité, la Charte incluait plusieurs dispositions qui contribuaient à la laïcisation progressive de la société québécoise et dont les opposants de la Charte ne se préoccupaient pas ou peu. Seule l’application du code vestimentaire—une expression de l’obligation de réserve religieuse imposée aux fonctionnaires au travail—suscitait une forte controverse à cause des deux objections que nous venons d’identifier. Nous les rejetons toutes les deux. L’objection (1) est irrationnelle car une bonne idée demeure une bonne idée indépendamment de sa source. L’objection (2) ne tient pas car elle équivaut au relativisme culturel, cette fausse et dangereuse idéologie selon laquelle toutes les valeurs culturelles ont un mérite égal.

Qui plus est, il existe déjà dans la législation québécoise une obligation de réserve politique imposée aux fonctionnaires. L’obligation de réserve religieuse proposée par la défunte Charte, et par nous dans la présente déclaration, ne serait qu’une extension évidente et raisonnable de celle-là. Ceux et celles qui s’opposeraient à cette règle de neutralité politique seraient contraints d’accepter que les fonctionnaires puissent arborer n’importe quel symbole politique au travail, y compris des symboles d’idéologies totalitaires.

Par contre, accepter une prohibition des symboles politiques mais rejeter la prohibition des symboles religieux nécessiterait une définition pratique et réalisable de la religion, des croyances religieuses et des symboles religieux, afin de bien distinguer les croyances religieuses des opinions politiques et les symboles religieux des politiques. (Par exemple, si un individu croit, pour des motifs religieux, que l’avortement ou l’homosexualité devraient être criminalisés, ou que les femmes qui ne portent pas le voile islamiste ne sont pas « pures », en quoi cette croyance n’est-elle pas une opinion politique ?) Même si l’on réussissait à faire une nette distinction, comment pourrait-on justifier des privilèges accordés aux croyances religieuses mais refusés aux opinions politiques ? Même avec une claire démarcation entre religion et politique, sur quelle base pourrait-on interdire aux fonctionnaires au travail le port de symboles politiques, tout en permettant les signes religieux ?

La liberté de religion, c’est la liberté de pratiquer la religion de son choix dans sa vie privée ou avec ses coreligionnaires. Elle n’implique pas que les croyants aient carte blanche pour faire la promotion publique de leur appartenance religieuse au travail dans la fonction publique.

Signataires :

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