Actualités : Un mouvement universaliste et laïque au Maroc

Un mouvement universaliste et laïque au Maroc, Rose St-Pierre, L’AUT’JOURNAL, 2017-04-18

Entre Paris et Rabat, vit et milite une activiste marocaine bien connue : Ibtissame Lachgar, alias Betty. Cofondatrice du Mouvement Alternatif pour les Liberté Individuelles (M.A.L.I.) avec la journaliste Zineb El Rhazoui (anciennement au Charlie Hebdo), elle est aussi l’une des premières Marocaines à assumer publiquement son athéisme. Ibtissame défend la communauté LGTBQIA+ et la dépénalisation de l’avortement, de même que des positionnements sociaux et politiques qui font réagir. Psychologue clinicienne de formation, spécialisée en criminologie et victimologie, mais surtout féministe audacieuse et scandaleuse, […]

Comment décririez-vous le mouvement M.A.L.I? Quelle est votre raison d’être?

M.A.L.I, qui veut dire « qu’ai-je de différent? » en arabe, est un mouvement alternatif, un mouvement avant-gardiste. Le noyau de nos actions concerne la défense des libertés individuelles au Maroc, mais nos pistes d’actions sont multiples : nous nous attaquons et remettons en question l’omniprésence de la religion musulmane (religion d’État) dans l’espace public, nous luttons contre la torture et la peine de mort, nous organisons des actions pro-choix et nous défendons les droits et l’émancipation des femmes et des minorités religieuses. Nous souhaitons que tout citoyen puisse mener une vie qui lui permette de s’épanouir, que chacun soit libre de pratiquer la religion de son choix ou de n’en pratiquer aucune – et à ce sujet, que des mariages civils soient réalisables – et que nous soyons tous et toutes en mesure de nous exprimer librement. En fait, nous avons construit le seul mouvement universaliste et laïque au Maroc. Et c’est important : nous insistons beaucoup sur cette universalité. […]

Nous avons par exemple organisé un pique-nique symbolique afin de condamner l’article 222 du Code pénal marocain et lutter en faveur de la liberté de conscience qui n’existe pas au Maroc — dans la nouvelle constitution non plus —. L’article 222 condamne à 6 mois de prison toute personne « notoirement connue » pour son appartenance à l’Islam et qui rompt ostensiblement le jeûne en public… Notoirement connue ? Par qui ? Comment ? Nous dénonçons fermement cette dictature religieuse, qui définit les Marocains de facto comme musulmans de la naissance à la fin de leurs jours.

En quoi votre combat est urgent et essentiel?

[…] Nous vivons dans un pays où l’Islam est religion d’État, où le roi Mohamed VI est le « commandeur des croyants » (et des croyantes d’ailleurs…). C’est l’équivalent d’un pape. Le Maroc se veut donc une monarchie absolue de droit divin ; un principe selon lequel tout pouvoir est censé venir de Dieu en opposition au droit naturel. Nous sommes clairement dans un système théocratique. Les lois sont fondées sur le religieux, des lois rétrogrades et misogynes, ce qui sous-entend vivre sous tutelle de l’État, des lois et des hommes en ce qui concerne les femmes et les enfants. […]

Justement, qu’en est-il de la situation des minorités sexuelles au Maroc?

En ce qui concerne la liberté sexuelle, l’homosexualité est « interdite » et « illégale » et celui ou celle qui s’en rendra « coupable » sera jugé, condamné puis emprisonné. Les conditions d’arrestation, les interrogatoires et les conditions de détention sont souvent violentes… L’homosexualité est encore considérée comme un péché. Les personnes homosexuelles sont victimes de harcèlement, d’intimidations, de menaces et d’actes de violence homophobes. Les arrestations sont fréquentes. Il ne faut pas oublier qu’en plus d’être une société foncièrement patriarcale, le fondamentalisme religieux et un certain islam rigoriste occupent de plus en plus de place. Au Maroc, l’homophobie est institutionnalisée et étatisée. […]

Et dans le cas de la situation des femmes et du mouvement féministe au pays?

[…] nous exigeons un monde où femmes et hommes jouissent des mêmes droits et des mêmes libertés. Nous essayons de pointer et de décortiquer cette idéologie misogyne qui considère les femmes comme inférieures et qui use de mécanismes d’asservissement et de contrôle pour les maintenir dans cette position. Les réseaux sociaux sont essentiels à ce niveau parce qu’ils nous permettent de combattre les idées préconçues. Nous luttons pour les droits des femmes au Maroc, dans un pays où la très grande majorité de la population est musulmane. Ce sont donc bien ces causes-là que nous défendons le plus pour toutes les femmes au Maroc, victimes de lois et traditions phallocrates. Notre féminisme universaliste lutte contre la domination masculine et le patriarcat dont les femmes, musulmanes, en premier lieu, sont victimes à travers des lois qui sont en leur défaveur. Nous critiquons les textes religieux, le droit divin, ainsi que toutes les lois marocaines qui en découlent. Les principaux combats menés actuellement concernent les inégalités dans l’héritage, le mariage des mineures, le viol et en particulier le viol conjugal — qui n’est pas condamné au Maroc, mais perçu comme un devoir conjugal —, le harcèlement dans les lieux publics et l’invisibilisation du travail domestique. Nous dénonçons aussi les conséquences dramatiques de l’avortement clandestin, un véritable business pour certains médecins.

[…] Pour que la lutte féministe puisse progresser, pour une véritable égalité de genre, je rejette la notion d’intersectionnalité et toute question de relativisme culturel. De même que les droits des femmes sont universels, la lutte contre la domination masculine ne connaît ni frontière, ni religion, ni couleur de peau. Mêmes droits pour toutes et tous, mêmes droits pour toutes les femmes. Et tout est question d’éducation! Celui qui épouse le relativisme s’engage au conformisme social ou légal, […] En bref, il n’existe pas de droits humains musulmans, pas plus qu’un féminisme islamique. « Halaliser » les droits humains exclut certains droits — des minorités sexuelles par exemple —, « halaliser » les droits des femmes est un contre-féminisme à mon sens. […]

Affiche avortement MALI
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Une jeune femme courageuse, un mouvement avant-gardiste et véritablement progressiste dans un pays de tradition musulmane.

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