Mémoire présenté au Comité Pelchat-Rousseau

Renforcer la laïcité au Québec

Mémoire présenté par Libres penseurs athées au Comité Pelchat-Rousseau, c’est-à-dire le Comité d’étude sur le respect des principes de la Loi sur la laïcité de l’État et sur les influences religieuses

Date : 2025-05-16

Date de publication : 2025-05-23


Présentation de l’association Libres penseurs athées

Libres penseurs athées (LPA) est une association de défense des droits des athées qui favorise le matérialisme philosophique, la pensée critique et la laïcité, et dont la majorité des membres réside au Québec. Fondée en 2010, notre association est affiliée à l’organisme Alliance Athée Internationale et participe aussi à une coalition québécoise, le Rassemblement pour la laïcité (RPL).

En tant qu’association athée, nous rejetons les croyances infondées, celles qui s’appuient sur des fictions dites « surnaturelles » comme les dieux, les déesses, la réincarnation, l’âme immortelle, la vie après la mort, et ainsi de suite. De telles fictions sont le produit de l’utilisation d’une « épistémologie » mythique, c’est-à-dire issue de mythologie et de révélation. En revanche, nous préconisons une épistémologie scientifique, donc la méthode scientifique, où les hypothèses sont validées ou invalidée par des observations du monde réel et par les conséquences de ces hypothèses dans la réalité.

Nous rejetons en particulier la prétention des religions qui se considèrent les seules autorités compétentes en matière de morale, car nous savons que la morale et l’éthique sont éminemment humaines et trouvent leurs origines dans l’évolution biologique de notre espèce et dans l’évolution culturelle, technique, scientifique et économique des sociétés.

Un énoncé détaillé de nos principes figure dans notre Manifeste athée, Déclaration de principes de l’association Libres penseurs athées, disponible sur notre site web et qui a recueilli plus de 1700 signatures.

Pour nous, la liberté de conscience inclut à la fois la liberté de croyance, religieuse ou autre, et la liberté d’incroyance, religieuse ou autre, ainsi que la liberté de changer de croyance.

La liberté de conscience inclut également la liberté d’opinion, de pensée, de conviction politique et tout ce qui est propre à l’individu et n’affecte pas directement autrui. La pratique d’une activité, cependant, qu’elle soit religieuse, politique, scientifique, artistique ou autre, peut entraîner des conséquences extérieures à l’individu et affecter autrui. Par conséquent, elle ne doit pas jouir de la même protection que celle accordée aux libertés propres à l’individu. La liberté de conscience n’implique pas une liberté de pratique, religieuse ou autre, sans contraintes.

Les croyances basées sur des révélations sont intrinsèquement dangereuses du fait de leur caractère arbitraire, invérifiable et infalsifiable. Ainsi, nous ne respectons pas les croyances religieuses. Comme toute autre idéologie, elles ne méritent d’emblée ni respect ni immunité. Au contraire, toute croyance, toute idéologie, toute idée doit être évaluée, examinée, mise en doute de façon scientifique, afin d’en déterminer la valeur, la vérité ou la fausseté.

Nous respectons cependant les personnes croyantes, nous respectons leur liberté d’adopter la croyance religieuse de leur choix, et de pratiquer cette religion dans les limites des lois établies « dans l’intérêt de l’ordre public » (pour emprunter le langage de la Loi française de 1905).

Nous considérons essentielle la liberté de chaque croyant de renoncer librement à sa religion et d’apostasier, c’est-à-dire de quitter sa religion pour en choisir une autre ou pour n’en adopter aucune autre. Le respect du droit à l’apostasie nous paraît particulièrement important, considérant que certaines religions, notamment l’islam, bafouent ce droit en qualifiant l’apostasie de « péché » grave pouvant entraîner une punition draconienne. L’interdiction de l’apostasie est inacceptable car il s’agit d’une négation absolue de la liberté de conscience.

Nous sommes également d’avis que la religion, tout comme l’alcool ou la sexualité, relève du domaine des adultes. Imposer une religion à un enfant, l’endoctriner dans une religion, quelle qu’elle soit, est une forme d’abus totalement inacceptable. Forcer une fillette à porter le voile au nom de la religion de ses parents est un exemple flagrant de ce type d’abus.

L’un des rôles principaux de l’école publique est la transmission de savoirs à la jeune génération. Ces savoirs comprennent, entre autres, les sciences et les connaissances compatibles avec la science. L’acquisition des savoirs par des méthodes scientifiques est très imparfaite et l’étendue de ces savoirs demeure encore limitée dans bien des domaines, mais l’acquisition de connaissances par le biais d’une « épistémologie » mythologique basée sur une soi-disant révélation divine est absolument nulle et irrecevable. Les religions n’encouragent et ne supportent ni la pensée rationnelle et critique, ni l’apprentissage des savoirs. Elles nous en éloignent au contraire en imposant aux fidèles des dogmes inventés de toutes pièces à une époque longtemps révolue.

L’importance de l’épistémologie, c’est-à-dire de la méthode que l’on choisit pour l’acquisition des connaissances, est bien exemplifiée par un incident survenu à l’école Bedford, à Montréal, cible d’une enquête en 2024 en conséquence des allégations de comportements peu professionnels de la part de plusieurs membres du personnel. Le ministre de l’Éducation Bernard Drainville relate comment une enseignante, pour répondre à l’évanouissement d’un enfant, s’est mise à prier au lieu de porter secours à l’enfant. C’est effectivement une « épistémologie » mythologique qui motivait le geste de l’enseignante car, de toute évidence, elle croyait que sa prière serait plus efficace ou plus rapide que la médecine du XXIe siècle.

La religion n’a aucune place dans l’école publique, sauf peut-être dans des cours d’histoire ou de sujets semblables. L’école publique ne doit dans aucun cas être un lieu de prosélytisme religieux, ni au sens restreint du terme (dans un but de convertir à une religion), ni au sens large (dans un but de normaliser les symboles et pratiques d’une ou des religions). L’école ne doit d’aucune façon participer à l’endoctrinement ou à l’embrigadement des enfants en faveur d’une religion, quelle qu’elle soit, y compris celle de leurs parents. Par exemple, l’école ne doit en aucun cas entériner l’imposition, sur des élèves, d’un jeûne pratiqué par les parents pour des raisons religieuses. Au contraire, l’école doit favoriser une alimentation et une hydratation saines des enfants afin de ne pas nuire à leur capacité d’apprentissage.


Laïcité et universalisme

L’un des aspects majeurs de la laïcité et une valeur-clé des Lumières est l’universalisme, le principe selon lequel la réalité constitue un tout unique, universel, accessible et applicable à tout individu, peu importe ses origines ou son pays. Dans la pensée universaliste, notre humanité commune est jugée beaucoup plus importante que les attributs personnels. Cette pensée se distingue du multiculturalisme canadien qui est identitaire et accorde davantage d’importance aux identités particulières (ethniques, religieuses, sexuelles, etc.) valorisant ainsi les appartenances tribales. L’universalisme, en revanche, affirme l’égalité des droits, y compris l’égalité femme-homme.

Notre athéisme s’inspire des valeurs du siècle des Lumières et s’inscrit dans leur suite. Les intellectuels et philosophes de cette mouvance ont travaillé contre les oppressions religieuses et politiques de l’époque et en faveur des idéaux comme la raison, la science, la tolérance, la liberté, le progrès, l’universalisme, les droits humains et la laïcité.

Ainsi, nous appuyons la laïcité et favorisons une stricte séparation entre l’État et les religions. Les lois humaines, adoptées par les représentants du peuple, doivent toujours avoir préséance sur toute loi dite « divine » car les auteurs de celle-ci constituent une minuscule élite sans légitimité, et agissant souvent dans un passé lointain. D’ailleurs, étant donné la multiplicité des religions, ces « lois » existent en de très nombreuses variantes, correspondant aux diverses religions et aux diverses obédiences de chaque religion. Il n’existe aucun test, aucune méthode, pour valider ou invalider chacune de ces « lois », ni pour résoudre les divergences doctrinales et réduire la concurrence lors des fréquents affrontements entre elles.

En effet, nous constatons que les religions représentent un danger réel pour la société, particulièrement lorsqu’elles détiennent ou acquièrent un pouvoir politique. Une stricte séparation État-religions est nécessaire afin de protéger la liberté de conscience individuelle — tant la nôtre que celle des croyants. L’État ne doit favoriser aucune religion. Évidemment l’État laïque se doit de rejeter toute ingérence religieuse dans ses institutions. Dans les cours d’histoire à l’école, il faut faire une lecture critique de l’histoire des religions et de leur mode d’acquisition des connaissances, leur épistémologie, basée sur des révélations incontrôlables.

La neutralité religieuse de l’État doit se réaliser au niveau des individus. Ainsi, la laïcité impose l’égalité des citoyens et des citoyennes, peu importe leur appartenance religieuse ou non-appartenance. Cette non-reconnaissance de l’appartenance religieuse par l’État laïque est particulièrement importante dans le cas des enfants, dans les écoles. Une personne mineure n’a pas de religion, même pas celle de ses parents.

Notre attachement à l’universalisme nous amène à rejeter le racisme, bien sûr, et à préconiser une approche à la lutte contre le racisme par des moyens qui n’accordent pas une importance indue à l’identité raciale de chaque individu. Cette identité n’est qu’un attribut parmi un grand nombre d’attributs personnels. De plus, nous rejetons catégoriquement la racialisation et l’essentialisation de l’appartenance religieuse car celle-ci est changeable. Cette racialisation — tout comme l’interdiction de l’apostasie — constitue une négation de la liberté de conscience et est donc incompatible avec la laïcité.


Lois existantes et Projet de loi 94

Nous appuyons la Loi sur la laïcité de l’État, adoptée en 2019 par le gouvernement du Québec, ainsi que le récent Projet de loi 94 qui propose d’étendre la première en ajoutant des stipulations :

  • que le système scolaire public respecte pleinement de la Loi sur la laïcité de l’État ;
  • que l’interdiction du port de signes religieux soit étendue à tout le personnel scolaire ;
  • que les activités religieuses et les lieux de prière soient interdits à l’école ;
  • que les services aux élèves soient fournis sans considération religieuse ;
  • que le port de couvre-visages soit interdit à tous et à toutes à l’école.

Nous sommes tout à fait d’accord avec toutes ces mesures.

Le Projet de loi 94 ajoute aussi certaines contraintes sur les accommodements religieux. C’est très bien à notre avis, mais cela ne va pas assez loin. Tout accommodement religieux constitue forcément un privilège religieux et donc une atteinte à la laïcité. Nous sommes d’avis que tout accommodement religieux devrait est interdit, que ce soit dans la fonction publique ou dans les écoles publiques.

Recommandation no 1

(a) Que toute éventualité d’accommodement religieux soit supprimée dans la législation existante telle que la Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes, la Loi sur la laïcité de l’État, ainsi que le Projet de loi 94.

(b) Que toute législation future s’abstienne d’accorder de tels accommodements.


Port de signes religieux et de couvre-visages

Dans cette section, nos recommandations sont fortement inspirées de celles faites par le Rassemblement pour la laïcité dans son mémoire au sujet du Projet de loi 94. Ainsi, nous présentons ici nos recommandations avec un minimum d’explications.

À notre avis, les dispositions qui s’appliquent aux fonctionnaires en position d’autorité devraient s’étendre à tout le personnel de la fonction publique, à celui des écoles publiques, ainsi qu’à celui des centres de petite enfance et des garderies subventionnées. Par exemple, le rapport « Vérification des mesures prévues à la Loi sur la laïcité de l’État », émis récemment par la Direction des enquêtes du Gouvernement du Québec, mentionne que « Le nombre d’heures en présence d’élèves d’une éducatrice [du service de garde] peut parfois dépasser le nombre d’heures en présence d’élèves de certains enseignants. » Ainsi, la neutralité religieuse du personnel non enseignant est aussi un enjeu.

Nous estimons que permettre à un fonctionnaire ou à un éducateur de porter un signe religieux ostentatoire au travail constitue une atteinte à la liberté de conscience des élèves ou des usagers qu’il doit servir dans le cadre de ses fonctions. Interdire le port de ces signes sur le lieu du travail n’affecte en rien la liberté de croyance propre à ces fonctionnaires et à ces éducateurs. Il s’agit d’une restriction raisonnable de la pratique religieuse, une restriction qui ne s’applique qu’en milieu de travail afin de respecter et protéger la liberté de conscience des élèves et des usagers.

Nous rappelons aussi que la Loi sur la fonction publique stipule, à son article 10, que « Le fonctionnaire doit faire preuve de neutralité politique dans l’exercice de ses fonctions. » Sur quelle base peut-on permettre aux fonctionnaires des manquements à la neutralité religieuse, tout en insistant sur la neutralité politique ? De plus, les signes religieux peuvent facilement avoir une portée politique. En effet, le refus d’enlever son signe religieux au travail constitue un geste politique de la part de la personne qui le porte.

Recommandation no 2

Dans la Loi sur la laïcité de l’État, étendre l’interdiction du port de signes religieux à tout le personnel de la fonction publique québécoise.

Recommandation no 3

Étendre l’interdiction du port de signes religieux à tout le personnel des Centres de petite enfance (CPEs) et des CEGEPs.

Recommandation no 4

Étendre l’interdiction du port de couvre-visages à tout le personnel du réseau éducatif du Québec, public et privé, du niveau préscolaire au niveau universitaire.

Recommandation no 5

Étendre l’interdiction du port de signes religieux et des couvre-visages aux employés fédéraux travaillant au Québec.

La clause de droit acquis ou clause « grand-père » dans la Loi sur la laïcité de l’État est une source de confusion, d’inégalité et de difficultés de gestion. Les auteurs du rapport « Vérification des mesures prévues à la Loi sur la laïcité de l’État » ont observé cette confusion. Il n’est pas toujours évident si l’enseignant ou l’enseignante qui porte un signe religieux bénéficie effectivement de ce droit, et vérifier son statut à cet égard constitue une tâche supplémentaire pour l’administration de l’école. Il s’agit d’une tâche franchement inutile, puisque facile (pour le législateur) à éviter.

Nous comprenons le souci du législateur à accorder au personnel des écoles et de la fonction publique un certain délai pour s’adapter à une nouvelle législation. Toutefois, cela fait plus de six ans depuis que le projet de Loi sur la laïcité de l’État a été publié et presque six ans qu’elle a été adoptée. Ce personnel a eu bien plus qu’assez de temps. Il faut aussi éviter une telle situation pour toute législation future.

Recommandation no 6

Abroger la clause de droit acquis (article 31) dans la Loi sur la laïcité de l’État.

De plus, dans toute loi éventuelle interdisant le port de signes religieux ou de couvre-visages, toute clause de droits acquis devra comporter une limite temporelle (p.ex. un petit nombre d’années) ou une date d’expiration.


Les élèves

Le sociologue Guy Rocher est une référence incontournable en matière de laïcité au Québec, ayant participé à la Commission Parent dans les années 1960 et ayant inspiré le prestigieux Prix Guy-Rocher. Monsieur Rocher s’est récemment prononcé pour l’interdiction du port de signes religieux à l’école, non seulement pour tout le personnel, mais aussi pour les élèves, dans le but de respecter le caractère laïque des institutions publiques. La Loi sur la laïcité de l’État stipule déjà que « les institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires » doivent respecter la laïcité de l’État et que « toute personne ait droit à des institutions et à des services publics laïques ». À notre avis, les institutions scolaires publiques doivent être ajoutées à cette liste. Ainsi, nous agréons les propos de l’éminent sociologue.

Les auteurs du rapport « Vérification des mesures prévues à la Loi sur la laïcité de l’État » ont constaté plusieurs cas où, pour des raisons religieuses, des élèves ne respectent pas le code vestimentaire qui s’applique normalement en éducation physique, et ce, sans qu’aucune demande d’accommodement formelle n’ait été faite. Cet exemple illustre la pertinence d’interdire le port de signes religieux chez les élèves, ainsi que l’importance de dissiper la confusion autour de la question des accommodements religieux.

Recommandation no 7

Interdire le port de signes religieux ostentatoires et de couvre-visages aux élèves dans les écoles primaires et secondaires.


Liberté de conscience

Au Chapitre 1, paragraphe 2 de la Loi sur la laïcité de l’État, la laïcité est définie de façon succincte en quatre parties. La quatrième partie de la définition mentionne que la laïcité de l’État repose sur le principe de « la liberté de conscience et la liberté de religion ». Dans son Chapitre II, au paragraphe 5, le Projet de loi 84 reprend textuellement cette définition, y compris ce principe.

Mettre sur un pied d’égalité la liberté de conscience et la liberté de religion nous paraît poser un sérieux problème. La liberté de conscience est strictement interne, propre à l’intimité de l’individu, tandis que la liberté de religion comprend des aspects internes et externes. La religion devrait selon nous être scindée en deux aspects très distincts : la croyance et la pratique. La croyance religieuse mérite d’être protégée par la législation, mais pas la pratique, à moins d’étendre une protection semblable à plusieurs autres domaines. En effet, les pratiques politiques, scientifiques, artistiques ou autres ne jouissent pas de protection semblable dans ces législations, alors pourquoi la pratique religieuse mériterait-elle une protection privilégiée ?

Toute pratique, qu’elle soit religieuse ou non, doit être encadrée par les limites définies dans la législation. Cette observation ne menace en rien la liberté de réunion et de célébration des religions, qu’elles soient minoritaires ou majoritaires.

La liberté de croyance religieuse est déjà implicitement incluse dans la notion « liberté de conscience ». Il est inutile de la mentionner explicitement. D’ailleurs, la mention explicite inscrite dans les législations actuelles laisse entendre que la religion serait plus importante et plus légitime que l’irréligion, que la croyance serait plus acceptable que l’incroyance. Une législation qui inclurait explicitement la liberté de croyance devrait également mentionner explicitement la liberté d’incroyance pour ne pas favoriser l’une plus que l’autre. Il serait probablement plus simple pour le législateur de ne mentionner ni l’une ni l’autre, étant donné que la liberté de conscience les englobe déjà, toutes les deux.

Finalement, il existe une contradiction fondamentale entre « liberté de conscience » et « liberté de religion », les deux pouvant facilement être mutuellement incompatibles. Les débats autour de la Loi sur la laïcité de l’État nous fournissent un bel exemple de cette incompatibilité. Ceux et celles qui s’opposent à cette loi affirme que l’interdiction du port de signes religieux par des fonctionnaires et les enseignants viole la liberté de religion de ces employés. C’est faux et vrai à la fois, et il faut séparer la croyance de sa pratique afin de résoudre ce paradoxe apparent.

En effet, cette interdiction du port de signes religieux n’affecte en rien la liberté de croyance religieuse. Elle constitue toutefois une restriction sur la liberté de pratique religieuse pour ces fonctionnaires et enseignants. Cette restriction est modeste et limitée, puisqu’elle ne s’applique qu’en milieu de travail. Elle est nécessaire afin de protéger la liberté de conscience des usagers de la fonction publique et des élèves dans les écoles. Sans cette interdiction, un signe religieux porté par une enseignante, par exemple, constituerait une forme de prosélytisme (au sens large au moins) et une atteinte à la liberté de conscience des élèves dans sa classe.

En France, la Loi de 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État nous offre un bon exemple de cette distinction entre croyance et pratique dans son Article 1 : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. » Ainsi, selon cette loi, la pratique religieuse (et non la croyance) peut être assujettie à des contraintes.

Pour résumer, l’expression « liberté de conscience » tout court nous paraît suffisante comme concept à inclure dans ces législations. Si le législateur devait y ajouter des précisions, il serait indispensable qu’il accorde à l’irréligion ou à l’incroyance une place aussi importante que celle accordée à la religion ou à la croyance. Ces précisions devraient aussi mentionner explicitement la liberté de changer de croyance religieuse — c’est-à-dire d’apostasier — cette liberté étant bafouée dans certaines religions sous peine de graves conséquences pour les individus, comme nous l’avons expliqué plus haut.

Recommandation no 8

(a) Dans la Loi sur la laïcité de l’État, au Chapitre I, article 2, ainsi que dans ses Notes explicatives, remplacer :
« la liberté de conscience et la liberté de religion » par
« la liberté de conscience » tout court, ou par un énoncé plus explicatif tel que
« la liberté de conscience, y compris les libertés de croyance, d’incroyance et de changer de croyance (apostasie) ».

(b) Apporter la même modification à l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne et à toute autre loi éventuelle qui reprend cette définition de la laïcité.


Organismes de bienfaisance

Bien que la Loi sur la laïcité de l’État constitue une importante avancée pour la laïcité au Québec, elle néglige complètement une question cruciale : l’argent des contribuables. Les institutions religieuses jouissent de privilèges très importants en matière de fiscalité, des privilèges qui ne sont pas du tout justifiés. La laïcisation de la société implique la suppression des privilèges religieux, dont ces privilèges fiscaux. Tout privilège religieux représente en réalité une discrimination contre le non religieux. Il s’agit donc d’une discrimination fiscale contre l’incroyance.

Les organismes de bienfaisance enregistrés (OBE), sont exemptés d’impôt sur le revenu, d’impôt foncier, de taxes municipales et scolaires, et peuvent aussi récupérer une partie des taxes de vente qu’ils ont payées.

Aux niveaux à la fois fédéral et québécois, l’un des critères dans la définition d’OBE est « l’avancement de la religion ». Selon l’Agence du revenu du Canada, il y a presque quatorze mille OBE au Québec, dont presque quatre mille dans la catégorie d’avancement de la religion (données recueillies le 17 avril 2025). Selon le professeur Luc Grenon de la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, les organismes dans cette catégorie ont récolté quelque 40 % des dons de bienfaisance au Canada en 2010. Beaucoup des organismes religieux consacrent la plupart de leurs temps et ressources à des activités exclusivement religieuses, procurant ainsi peu ou pas de bénéfice public tangible.

Si un organisme ne fait que des activités religieuses, comme la pastorale et le prosélytisme, ces activités ne bénéficient qu’aux organismes eux-mêmes et ne constituent que de la propagande. Si par contre une institution religieuse soutient réellement des œuvres de charité, fort bien, qu’elle bénéficie d’un statut de bienfaisance pour cette partie de ses activités, mais pas pour ses activités de propagande.

Le Québec ayant apparemment décidé tout simplement de copier les critères fédéraux tels quels, il peut en décider autrement. Le Québec peut donc soustraire « l’avancement de la religion » de la définition des fins de bienfaisance.

Recommandation no 9

Supprimer « l’avancement de la religion » dans les critères d’un organisme de bienfaisance.


Fiscalité municipale

Les privilèges fiscaux dont jouissent les institutions religieuses ne se limitent pas à la définition d’organisme de bienfaisance. L’article 204, alinéas 8 et 12, de la Loi sur la fiscalité municipale stipule que certains immeubles d’une institution religieuse sont « exempts de toute taxe foncière, municipale ou scolaire ». L’article 236, alinéas 3 et 4, de cette même loi stipule que les activités des institutions religieuses sont exemptes de la taxe d’affaires.

Il peut s’agir de sommes importantes d’argent dont l’ampleur n’est pas évidente. Comme première étape de laïcisation de cette législation, il faudrait que ces sommes soient comptabilisées et les résultats de cette comptabilité rendus publics, au moins une fois chaque année ou chaque cycle de facturation de ces taxes, afin que la population soit précisément informée des coûts réels de ces exemptions. Ces données permettront de bien planifier les prochaines étapes de laïcisation où ces privilèges doivent être graduellement abrogés.

Recommandation no 10

Comptabiliser et rendre publics les coûts directs et indirects des exemptions fiscales accordées aux institutions religieuses en fonction des articles 204 et 236 de la Loi sur la fiscalité municipale.


Autres recommandations

Vu que les écoles privées au Québec bénéficient d’importantes subventions d’argent public, il est crucial qu’elles respectent le caractère laïque de l’enseignement obligatoire, c’est-à-dire de l’enseignement imposé dans l’ensemble des écoles publiques et privées par le ministère de l’Éducation.

Recommandation no 11

Mettre fin au financement public des écoles privées qui ne respectent pas le caractère laïque de l’enseignement obligatoire.

De plus, les activités extra-scolaires, telles que des activités sportives, culturelles, artistiques, citoyennes, etc., doivent, elles aussi, respecter la nécessaire laïcité du système scolaire.

Recommandation no 12

Amender l’article 215 de la Loi sur l’instruction publique pour que toute activité extra-scolaire doive respecter la laïcité.


Récapitulation des recommandations de Libres penseurs athées

  1. (a) Que toute éventualité d’accommodement religieux soit supprimée dans la législation existante telle que la Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes, la Loi sur la laïcité de l’État, ainsi que le Projet de loi 94.
    (b) Que toute législation future s’abstienne d’accorder de tels accommodements.
  2. Dans la Loi sur la laïcité de l’État, étendre l’interdiction du port de signes religieux à tout le personnel de la fonction publique québécoise.
  3. Étendre l’interdiction du port de signes religieux à tout le personnel des Centres de petite enfance (CPEs) et des CEGEPs.
  4. Étendre l’interdiction du port de couvre-visages à tout le personnel du réseau éducatif du Québec, public et privé, du niveau préscolaire au niveau universitaire.
  5. Étendre l’interdiction du port de signes religieux et des couvre-visages aux employés fédéraux travaillant au Québec.
  6. Abroger la clause de droit acquis (article 31) dans la Loi sur la laïcité de l’État.
    De plus, dans toute loi éventuelle interdisant le port de signes religieux ou de couvre-visages, toute clause de droits acquis devra comporter une limite temporelle (p.ex. un petit nombre d’années) ou une date d’expiration.
  7. Interdire le port de signes religieux ostentatoires et de couvre-visages aux élèves dans les écoles primaires et secondaires.
  8. (a) Dans la Loi sur la laïcité de l’État, au Chapitre I, article 2, ainsi que dans ses Notes explicatives, remplacer :
    « la liberté de conscience et la liberté de religion » par
    « la liberté de conscience » tout court, ou par un énoncé plus explicatif tel que
    « la liberté de conscience, y compris les libertés de croyance, d’incroyance et de changer de croyance (apostasie) ».
    (b) Apporter la même modification à l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne et à toute autre loi éventuelle qui reprend cette définition de la laïcité.
  9. Supprimer « l’avancement de la religion » dans les critères d’un organisme de bienfaisance.
  10. Comptabiliser et rendre publics les coûts directs et indirects des exemptions fiscales accordées aux institutions religieuses en fonction des articles 204 et 236 de la Loi sur la fiscalité municipale.
  11. Mettre fin au financement public des écoles privées qui ne respectent pas le caractère laïque de l’enseignement obligatoire.
  12. Amender l’article 215 de la Loi sur l’instruction publique pour que toute activité extra-scolaire doive respecter la laïcité.

Ce mémoire est aussi disponible en version PDF.


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