Un avocat peu instruit discute du dernier jugement de la Cour d’Appel sur la laïcité

Jacques Légaré

2019-12-23

Ce texte est une réponse à l’article « Les juges, les droits et la loi 21 » de Jean Leclair, Professeur titulaire à la faculté de droit, Université de Montréal, paru dans La Presse du 2019-12-15.

Le professeur de droit, Jean Leclair, qui n’est pas Beccaria, se pique de clarté sur le dernier jugement de la Cour d’Appel et la loi 21.

Disons d’emblée que la non-élection des juges ne pose pas de problème particulier, de même pour les policiers, professeurs, médecins et autres non élus. Le problème est la formation des juges : que de juges incultes jugent des problèmes sur lesquels ils n’ont aucune formation. C’est le cas en laïcité.

Même problème pour l’élection : que d’élus incompétents ou nullement formés sur le sujet en jeu qu’ils voteront. J’ai assisté aux 30 prestations des invités à la Commission parlementaire sur le projet de loi 21 sur la laïcité pour constater sans arrêt l’ignorance des élus en laïcité, sans compter la ligne de parti brimant leur volonté libre toute personnelle.

Les deux jugements de la CS sur le port du kirpan-poignard porté à l’école par un enfant et sur la prière au Saguenay m’ont démontré la faible, voire absente, formation des juges en laïcité.

Quelles disciplines donnent cette formation ? Pas le droit. Mais bien la philosophie politique, l’anthropologie, l’histoire. Toutes étudiées hors de l’influence pré-rationaliste, sectaire et enfumée où les religions maintiennent ceux qui sont dans leur giron.

À quoi sert de demander, sur l’alcool, l’avis d’un alcoolique ? À un pédéraste son avis sur la pédophilie ? À un chaman son avis médical ? Voilà ce tout dernier vice qui afflige le droit et nos assemblées d’élus : ils sollicitent l’avis en laïcité rationaliste et raisonnable, des plus contrevenants les plus butés, les plus aveugles en déraison et extravagances.

La preuve : fut entendu le faux philosophe (en réalité un théologien) Charles Taylor en commission parlementaire. Fut écouté et retenu, dans le jugement de la CS sur le kirpan-poignard porté par un enfant à l’école, l’avis d’un gourou arriéré du sikhisme, préférablement à un psychopédagogue formé aux sciences modernes.

Le droit s’est inspiré des plus ignorants, tournant le dos aux Lumières fondatrices de l’état de droit qu’ils sont sensé protéger et améliorer. Il est là le problème.

Les juges et le législateur utilisent la clause dérogatoire ? Rien à voir avec la laïcité. Elle n’est qu’une astuce au service d’une lutte de pouvoir entre deux niveaux de gouvernement tous deux empêtrés dans une constitution mal écrite.

Le port du voile n’entraîne pas la perte d’un emploi. C’est la voilée qui décide de préférer son voile à son emploi. Comme je préfère ne pas travailler dans aucun emploi qui m’oblige à porter, ou à ne pas porter, un vêtement particulier.

Aucun juge n’a été capable jusqu’à maintenant de réfléchir en profondeur souhaitée à « la liberté de religion ». N’est-il pas un droit abusif, surfait, mal nommé, mal inséré, et ainsi donc mal géré ? Ils se sont contentés de tricoter une jurisprudence dans un tissu fabriqué, dès l’origine, sur un mauvais canevas. En clair, il fut stupide (car dans la suite de l’Ancien Régime) en 1776, en 1867 et 1982 d’ériger une simple opinion en droit imprescriptible. Ce compromis entre obscurantistes et Lumières, dit « équilibre », nous a conduit aux problèmes actuels.

Dans ce jugement de la Cour d’Appel, à la fois heureux dans sa conclusion et sans rigueur dans son argumentation, les juges s’appuient sur d’autres juges (européens) sans aucune raison solide, c’est-à-dire démontrée. Ainsi, ils auraient tout aussi bien pu aboutir à une décision contraire avec les mêmes arguments qu’ils invoquent. La raison : ils n’ont aucune hauteur épistémologique (issus des autres sciences humaines ci-haut mentionnées) pour nous fournir des arguments décisifs.

Il faut leur reconnaitre tout de même une grande franchise : « la difficulté, disent-ils, de former une conception uniforme de la signification de la religion ». Il est vrai que l’ignorance volontaire à s’instruire aux bonnes sources (Normand Rousseau, Daniel Baril, André Comte-Sponville) rend plus difficile toute chose, a fortiori un jugement de cour. N’est pas Beccaria qui veut.

« La vérité n’est pas toute noire ou toute blanche » dit notre commentateur M. Leclair. En science et en humanisme, la vérité est blanche pour qui travaille à fond son sujet et correctement.

Accepteriez-vous un médecin qui vous opérerait en vous disant : « Sur votre maladie, je n’ai pas un savoir tout blanc ou tout noir » ? Or en laïcité, c’est tout blanc et tout noir à la fois pour les intégristes (qui n’en veulent pas) et les laïcistes humanistes (qui la veulent). En France même on ne dit pas que sa laïcité est « grise » ou de compromis, on dit qu’elle n’est même pas respectée complètement par le législateur !, d’où les graves problèmes en France d’intégration culturelle et de protection de l’héritage moderne des Lumières (cf. Caroline Fourest « Génie de la laïcité »). Pire encore en Grande-Bretagne multiculturelle (Jacques Attali dixit).

Un juge, plus encore le législateur, doit choisir comme il a naguère choisi (blanc ou noir) en interdisant la peine de mort ou en permettant l’avortement. En certains choix culturels et politiques, le gris n’existe pas. Le code criminel est celui où le gris (l’a-peu-près, le compromis sont les moins présents qui soient). On ne départage jamais 50-50 le montant entre le voleur et le volé, entre l’agresseur et l’agressé. En pénalité pécuniaire (registre tout différent) c’est quelques fois possible car les montants obtenus y varient à bon droit. Mais pas en laïcité qui ne se monnaie pas.

Souvenons-nous que le jugement de Salomon n’était pas un jugement gris qui aurait pu donner deux mères à un seul enfant, mais une ruse pour trouver la mère véritable.

De même en laïcité, un juge doit dire à une religion qu’elle doit renoncer à son absolutisme culturel, social ou politique, même limité à un quartier ou à l’intérieur d’une seule famille. Le jugement des hommes doit s’imposer à la moindre règle prétendue de Dieu contenue dans les textes sacrés. Parce que ces derniers nient à la fois la démocratie, l’égalité homme-femme et la primauté de la raison humaine. Il est là l’élévation ou la hauteur juridique où le droit doit se maintenir. La valeur précède le droit qui ensuite la régule.

« L’équilibre à établir entre volonté générale et respect des droits fondamentaux de la personne » nous dit M. Leclair. Encore là, le mot « équilibre » n’est guère convainquant car il n’a aucune base, sauf le pif de l’à-peu près, pour s’imposer d’évidence à la raison claire.

Le code de sécurité routière nous refuse cet imprécis et douteux « équilibre » entre la conduite d’un véhicule et notre ébriété (facultés affaiblies). De même en religion, ou en ce surfait droit « liberté de religion », un législateur et un juge n’ont pas à trouver un « équilibre » entre une idée médiévale et une idée moderne, une dérive mystique et un discours raisonné, une extravagance et une action de bon sens, une élucubration métaphysique et une connaissance scientifique ou même empirique.

Quelle action constitutionnelle erronée d’avoir érigé une simple opinion métaphysique en droit ? Si le droit reconnait déjà la réalité du « fol enchérisseur » (CCQ,1765)), il est capable de le percevoir en d’autres domaines.

S’il manque de vigilance ou de perspicacité, notre droit (qui se pique de ne pas s’instruire aux autres sciences humaines) devra bientôt, selon sa propre règle assez paresseuse de suivre la jurisprudence d’autres tribunaux, reconnaître la Foi guérisseuse qui envoie à la mort des enfants malades à qui leurs parents en Idaho, pour cause religieuse, refusent les vaccins et les soins médicaux modernes.

Le droit de naguère justifia les camps, l’infériorité des femmes, les sorcières brûlées vives, le terrorisme d’État. Il était là, à ces époques affreuses, « l’équilibre entre la volonté générale et les droits de la personne » croyante, prolétarienne ou aryenne. Tous voient ici l’erreur gravissime d’amalgamer la personne avec sa classe sociale, sa nation ou sa religion. Le même erreur se poursuit dans le concept même de « liberté de religion » car on y amalgame la personne et sa croyance. N’existent plus que des juifs, chrétiens ou musulmans qui contestent au « citoyen libre et démocratique » sa primauté dans la constitution de notre pays, et obligatoire si nous voulons des jugements de Cour cohérents.

Faut-il rire en lisant : « Les juges doivent faire preuve de jugement ». Et en double par : [s’ils en manquent existent] « les tribunaux d’appel ». Double tautologie pathétique qui nous apprend que la formation juridique n’est pas suffisante pour débattre et conclure en laïcité.

La laïcité, c’est la religion mise hors de l’État, et reléguée dans leurs seuls lieux de culte respectifs (comme l’est au domicile l’alcool pour qui veut s’en saouler). Laïcité impeccable, sans privilèges injustifiés que sont les actuelles exemptions fiscales et l’accès (délétère) aux enfants mineurs dont on viole la liberté de conscience en formation.

Il n’y a pas de place pour « l’équilibre » entre un violeur et un tout jeune violé, entre un abuseur et sa victime, entre un contribuable honnête et un filou exempté.

Il est là le bon ordre public, l’intelligence des Lumières et le progrès de la modernité.


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