Blogue 008 : La Cour suprême du Canada et le programme Éthique et culture religieuse

David Rand

Le 17 février 2012, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans S.L. c. Commission scolaire des Chênes où deux parents catholiques demandaient que leurs enfants soient exemptés du programme Éthique et culture religieuse, instauré en 2008 dans les écoles québécoises. La Cour a refusé la demande, entérinant ainsi les décisions des juridictions inférieures.

Le nouveau programme Éthique et culture religieuse qui a débuté dans les écoles québécoises en septembre 2008 devait marquer l’étape finale de la laïcisation du système scolaire. Il s’agit d’un cours obligatoire, imposé à tous les niveaux des écoles primaires et secondaire, traitant d’une variété de religions, tout en privilégiant le christianisme et en particulier le catholicisme.

Si ce nouveau programme montre un peu d’ouverture aux religions non chrétiennes, c’en est trop pour certains parents. Deux parents catholiques de Drummondville, identifiés seulement comme S.L. et D.J., ont poursuivi leur commission scolaire dans le but d’obtenir une exemption pour leurs enfants, prétextant que le cours ÉCR « porte atteinte à leur droit à la liberté de conscience et de religion, ainsi qu’à celui de leurs enfants » en exposant ces derniers à d’autres croyances. Selon ces parents, le cours prône le relativisme et crée ainsi de la confusion et un vide moral chez les enfants. Mais la Cour suprême du Canada, dans sa décision du 17 février, ne leur a pas donné raison. Les motifs des juges se divisent en une opinion majoritaire (sept juges) et une minoritaire (deux juges), mais toutes les deux rejetant l’appel. La juge Deschamps, exprimant l’opinion majoritaire, écrit,

Les parents qui le désirent sont libres de transmettre à leurs enfants leurs croyances personnelles. Cependant, l’exposition précoce des enfants à des réalités autres que celles qu’ils vivent dans leur environnement familial immédiat constitue un fait de la vie en société. Suggérer que le fait même d’exposer des enfants à différents faits religieux porte atteinte à la liberté de religion de ceux-ci ou de leurs parents revient à rejeter la réalité multiculturelle de la société canadienne et méconnaître les obligations de l’État québécois en matière d’éducation publique.[…] Les appelants n’ont pas fait la preuve que le programme ÉCR portait atteinte à leur liberté de religion.

Il faut reconnaître que les intentions des parents dans cette cause se fondaient essentiellement sur l’obscurantisme et la bigoterie catholiques : ils voulaient que leurs enfants soient tenus dans l’ignorance des religions autres que « la bonne ». Pour nous, athées et partisans de la laïcité, cette décision de la Cour de rejeter leurs arguments contre le programme ÉCR est donc une bonne nouvelle.

Toutefois, nous n’avons rien à fêter. Car le programme Éthique et culture religieuse est défectueux et doit être retiré ou entièrement refait. Les partisans de la laïcité doivent s’y opposer pour des raisons qui n’ont rien à voir avec celles rejetées par la Cour suprême. L’instauration du programme ÉCR n’a pas constitué un pas en avant dans la laïcisation, mais plutôt un net recul car il consacre une plus grande présence de religion dans les écoles qu’auparavant. Rappelons quelques éléments saillants :

  • Il s’agit d’un cours de religion obligatoire et sans exemptions.
  • Il est imposé à tous les niveaux, y compris aux enfants au début de l’école primaire, à un âge où ils sont susceptibles d’avoir de la difficulté à faire l’importante distinction entre la mythologie et la réalité (entre un concept comme, par exemple, « Les chrétiens croient que Jésus a été ressuscité après sa mort » et un prétendu fait historique, « Jésus a été ressuscité après sa mort »).
  • Un nouveau SAVSEC (Service d’animation à la vie spirituelle et à l’engagement communautaire) est maintenant obligatoire dans toutes les écoles, tandis que le service de pastorale qu’il remplace n’était présent que dans quelques écoles secondaires catholiques.
  • Le programme confond religion et morale, comme si cette dernière dépendait nécessairement de la première, soutenant implicitement les préjugés contre les athées et autres incroyants.
  • Le programme laisse très peu de place aux incroyances : athéisme, matérialisme philosophique, agnosticisme, humanisme, etc. Le mot « athéisme » serait même banni du cours.

Remarquons, en passant, que sur ce dernier point la Cour se révèle peut-être un peu plus évoluée que les auteurs du programme ÉCR. Citons encore une fois la juge Deschamps : « la neutralité de l’État est assurée lorsque celui-ci ne favorise ni ne défavorise aucune conviction religieuse ; en d’autres termes, lorsqu’il respecte toutes les positions à l’égard de la religion, y compris celle de n’en avoir aucune ».

Avec ÉCR, l’ancien système scolaire confessionnel se trouve remplacé par un système multiconfessionnel et multireligieux. Le cours ÉCR reflète et renforce le statu quo car le choix de croyances et les attitudes qu’il présente correspondent à celles actuellement courantes dans la société. Les parents catholiques S.L. et D.J. s’y opposent parce qu’il est insuffisamment obscurantiste à leur goût. Nous nous y opposons, au nom de la laïcité, parce qu’il fait la promotion de la notion que la société ne serait que la somme de diverses communautés religieuses, et que l’individu ne trouve son identité et ses valeurs qu’en tant que membre d’une de ces communautés.

Pour laïciser la système scolaire, le principe directeur est ceci : les cours obligatoires dédiés à la religion sont inacceptables. Même si le programme ÉCR ne visait que les élèves suffisamment matures en âge, il serait toujours à rejeter. La religion n’a de place dans l’enseignement obligatoire à l’école publique que lorsqu’elle est mise en contexte, par exemple dans des cours d’histoire, de littérature, de géographie, etc.

Cette récente décision de la Cour suprême, c’est une victoire du multiculturalisme – c’est-à-dire l’antilaïcité du XXIe siècle — sur la bigoterie sectaire — l’antilaïcité des siècles précédents. C’est une victoire de la gauche religieuse sur la droite religieuse. C’est une victoire pour la laïcité dite « ouverte » – qui est le contraire de la laïcité car elle ouvre les institutions d’État, en particulier son système scolaire, à l’ingérence des religions. Avec sa décision, la Cour nous livre un petit peu de progrès. Trop petit.

Références


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