Blogue 018 : Interdire la circoncision ne constitue pas de la discrimination religieuse

Jackson Doughart

La récente décision d’une cour allemande interdisant la circoncision pour des raisons non médicales a suscité la colère de plusieurs communautés religieuses qui considèrent que cette prohibition constitue de la discrimination religieuse. Mais, selon Jackson Doughart, la situation est précisément le contraire. Permettre la mutilation du corps – une marque indélébile d’une affiliation religieuse – sans le consentement de la personne mutilée, constituerait une exception injustifiable au droit à l’intégrité physique et à la liberté de religion de cet individu.

Il est à peu près impossible de discuter de la légalité ou de la moralité de la circoncision masculine sans aborder la question des rituels religieux de circoncision. Ceux-ci comprennent le khitân de l’islam, les traditions de certaines sectes du christianisme orthodoxe, et le plus célèbre Britmilah du judaïsme, qui se pratique sur l’enfant une huitaine de jours après sa naissance. Bien que la plupart des circoncisions en Amérique du Nord se font sans motif religieux, beaucoup d’opposition à la réglementation de la circoncision vient des adeptes du judaïsme et de l’islam, qui la considèrent une obligation religieuse pour tous les hommes. En particulier, les juifs pieux croient que la circoncision représente leur Alliance biblique avec Dieu. Quelle soit laïque ou religieuse, la circoncision implique l’ablation totale ou partielle du prépuce, souvent sans raison médicale et toujours sans le consentement du patient. Ces circonstances de circoncision inutile ont été prononcées illégales par une cour allemande le 26 juin, une décision qui a suscité la colère des communautés religieuses dans ce pays. Curieusement, la plupart des réactions à l’échelle internationale évitent de parler des mérites de cette prohibition, mais la voient plutôt comme possiblement un cas de discrimination religieuse contre les juifs et les musulmans.

L’aspect contentieux de cette suggestion est dans la forme de la question posée, non pas dans la réponse simple et objective que l’on peut y donner. Il n’y a pas de discrimination dans ce cas, du moins pas au sens propre et juste du mot. L’opinion de la cour que la circoncision constitue une violation du droit constitutionnel de l’individu à l’intégrité physique s’applique sans discrimination. L’allégation de discrimination est donc absurde. Au fait, les juifs et les musulmans qui se plaignent de la décision souhaiteraient que la loi les traite différemment des autres. Cette confusion provient d’un emploi erroné du mot discrimination, utilisé négligemment à la place des termes « injuste » et « inéquitable » – des sujets importants, certes, mais bien plus difficiles à démontrer sans le langage noir et blanc de l’égalitarisme. Une prohibition, sans sans égard à son objet, de la circoncision serait-elle donc une injustice à l’égard des juifs et des musulmans, vu que la Torah (Genèse, 17 : 10-12) et le hadith (al-Bukhari, Vol. 7, Liv. 72, Num. 779) sont très clairs à ce propos ? Si oui, et que cette injustice est en effet une base légitime pour évaluer la pratique de la circoncision, il n’y a que deux résultats légaux possibles, tous les deux inconciliables avec les valeurs d’une société qui respecte les droits de l’individu.

Dans le premier cas, on pourrait soutenir que, vu qu’une prohibition de la circoncision empêcherait un parent de circoncire pour les motifs religieux, aucune réglementation ne peut être justifiée. Cet argument a l’avantage d’être uniforme et sans exception, mais il pose toujours problème en ce qui concerne la religion. Par exemple, il n’est pas clair si ce genre de liberté parentale serait absolue, et il n’est pas clair non plus quel rôle devrait jouer la société dans la protection des droits de l’enfant. L’affirmation des droits parentaux et religieux a été utilisée pour priver de jeunes enfants de certaines activités éducatives et de services de santé. Ce dernier exemple a été porté devant la Cour Suprême du Canada, B.(R.) v. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, qui a décidé que la liberté religieuse d’un parent n’inclut pas le refus d’une transfusion sanguine pour son enfant, car la liberté de religion, comme toutes les libertés énumérées dans la Charte canadienne des droits et libertés, appartient à l’individu. Si ce genre d’argumentation est convaincant, il pourrait s’appliquer facilement de la façon suivante : un adulte dont la foi religieuse exige cette chirurgie, peut opter pour la circoncision pour lui-même, mais pas pour son fils nouveau-né, ce dernier ayant le droit à l’autonomie en matière religieuse et, dans la mesure du possible, médicale.

Si on n’interdit pas la circoncision pour les raisons évoquées ci-dessus, cela impliquerait un droit de veto pour la religion en ce qui concerne les initiatives légales et morales, même pour les groupes religieux minuscules. Une application cohérente de ce principe serait impossible, et ne recevrait pas probablement l’appui du public si ce principe était bien compris. Par exemple la prohibition des mariages polygames ne respecte pas du tout la religion des Mormons intégristes, pourtant cela n’empêche pas l’adoption de lois anti-polygamie, qui sont motivées par des arguments laïques. Dans le même ordre d’idées, le mariage forcé est également interdit, malgré l’existence de plusieurs excuses culturelles et religieuses. De plus, l’excision féminine, pratiquée en Afrique et en Asie du sud-est, est explicitement interdite comme voie de fait causant des lésions corporelles, bien qu’un grand nombre d’immigrants au Canada proviennent de pays où l’excision est pratiquée. Bien que la plupart des gens qui défendent la circoncision rituelle n’accepteraient pas ces pratiques atroces, leur usage des justifications religieuses et culturelles y est presque identique.

Devant la difficulté d’utiliser leur religion pour influencer le processus politique, beaucoup de minorités religieuses prônent des exemptions religieuses aux lois pour accommoder leur foi. En conséquence, la réaction juive et islamique à la décision allemande s’est orientée principalement vers une demande d’exception pour les familles dont la religion exige la circoncision des enfants. A mon désagrément, cette idée est vue souvent comme un compromis raisonnable, même parmi les opposants de la circoncision. Un exemple est Margaret Somerville, bioéthicienne conservatrice, qui a expliqué dans son texte The Ethical Canary (2000) que « nous devons respecter sérieusement la foi religieuse des gens; si nous nous en mêlons . . . nous faisons mal à toute la société » (ma traduction). Somerville croit que nous devons envisager une exemption religieuse si le Canada interdit la circoncision par moyen statutaire ou juridique. C’est un argument erroné, avancé sur la supposition qu’une exemption religieuse respecterait les convictions profondes des parents. En réalité, une exemption de ce genre exprimerait mépris et indifférence à l’égard des enfants de parents juifs ou musulmans, car une loi protégeant l’autonomie de l’individu serait alors abrogée, et ce, à cause d’un circonstance fortuite, c’est-à-dire la religion des parents. Cela constituerait un cas évident d’antisémitisme et de discrimination méritant notre indignation.

En outre, la création d’une exemption spéciale pour la circoncision rituelle suggérerait que la foi religieuse serait une raison légitime de circoncire un enfant innocent. C’est faux. En fait, à mon avis, et nonobstant l’ignorance qui soutient cette obsession nord-américaine pour la circoncision, la pratique religieuse est encore plus sinistre. Au-delà de la répression sexuelle où la circoncision trouve ces racines, le plus dégoûtant dans cette tradition est le désir de faire des enfants des membres permanents d’un groupe religieux avec une marque irréversible, une excision qui ne se régénère pas. Il est clair que cela se distingue des traditions qui ne portent pas atteinte à l’autonomie de l’individu, car celui-ci peut décider de garder ou rejeter ces traditions une fois rendu à l’âge adulte.

L’exigence d’une exemption spéciale dévoile les faiblesses du multiculturalisme en matière de droit, d’éthique et de politique. On admet couramment aujourd’hui, même chez les croyants, que la législation et la morale peuvent se faire sans référence au religieux. Mais cette lucidité est souillée par l’idée que des exceptions doivent être admises pour ceux dont la foi religieuse serait incompatible avec cette législation ou avec cette morale. L’enjeu ici n’est pas la qualité de vie des juifs ou des musulmans ou la capacité des parents d’apprendre à leurs enfants leurs idées ou leurs traditions, mais plutôt l’utilisation de la religion comme veto dans un débat éthique important. Si notre société permet la circoncision religieuse des enfants, elle doit évidemment permettre la même pratique pour des motifs laïques. Mais si, par contre, nous voulons protéger l’intégrité physique des enfants, un accommodement « raisonnable » de la foi religieuse ne justifie pas cette pratique sordide et archaïque.

À propos de ce texte

Une version abrégée, et en anglais, de cet article a paru dans la rubrique Holy Post du quotidien torontois National Post, sous le titre « No religious discrimination in Germany’s circumcision ban ».
La version intégrale anglaise est disponible sur le site Atheist Freethinkers.
La traduction française est de l’auteur.


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