Blogue 028 : Les Idiots utiles

Le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions

Dagmar Gontard-Zelinkova

Peut-être qu’un jour, en se penchant sur l’histoire moderne, un historien quelque peu fouineur s’arrêtera sur le film l’Aveu, une œuvre que nous considérons comme essentielle si l’on veut comprendre le mécanisme des idéologies totalitaires et le rôle de ceux qui contribuent à leur fonctionnement.

L’Aveu, un film de Costa Gavras, basé sur le livre du même nom, raconte une histoire se déroulant dans les années cinquante, en Tchécoslovaquie, où un homme est forcé d’élaborer sa propre condamnation en vue d’un procès politique. Quand Costa Gavras a décidé de réaliser le film, le couple Simone Signoret et Yves Montand, acteurs bien connus, a obtenu les rôles principaux. Ce fut pour eux l’occasion de faire leur mea culpa. Fervents défenseurs du communisme, amis fidèles de l’Union soviétique, ils n’avaient jamais caché leurs idées, solidement ancrées à gauche… jusqu’au 21 août 1968. Dans son livre La nostalgie n’est plus ce qu’elle était, Simone Signoret raconte que cela a été comme un coup de tonnerre. Elle et Montand étaient bouleversés de s’être trompés, d’avoir été les dindons de la farce. Montand a fait de son rôle dans l’Aveu une pénitence, s’imprégnant profondément de son personnage, au point de perdre 16 kg pour réaliser le tournage.

Ce fut donc le coup liberticide qui, en écrasant le Printemps de Prague, sonna le réveil pour Signoret et Montand. Vient alors la question obsédante : pourquoi 1968 ? Pourquoi pas avant ? Il y a eu pourtant tant d’autres événements qui précédaient et qui sonnaient l’alarme, Budapest de 1956, par exemple, avait été une saignée majeure pour l’idéologie communiste. Ceux qui s’étaient échappés du paradis révolutionnaire étaient porteurs de témoignages – procès politiques truqués, extorsion des aveux, délation, exécutions sommaires, goulags, terreur…De tout cela les thuriféraires du paradis communiste n’ont rien su retenir ? Comment l’expliquer ? On pourrait difficilement remettre en question leur intégrité.

Par ailleurs, un autre totalitarisme, tout aussi sanguinaire que le communisme, le nazisme a aussi bénéficié du soutien de personnes que l’on pourrait difficilement qualifier de malhonnêtes ou de simples d’esprit. Artistes, philosophes, écrivains se laissèrent séduire par l’idéologie nazie. Prenons le cas – mais d’autres exemples abondent – du célèbre écrivain français, Robert Brasillach. Son admiration pour la jeunesse hitlérienne, sage et disciplinée, était sans bornes, de même que sa fascination pour le führer. Comment expliquer un tel engouement si ce n’est que par la foi ? Une foi de fer, une foi infaillible. Une foi qui met de la cire dans les oreilles et de la ouate sur les yeux. Une foi aveugle qui mène des personnes à servir, sans s’en rendre compte, des dessins qui leur échappent, des personnes que l’on qualifiera par la suite des idiots utiles. Selon certaines sources, ce serait Lénine qui aurait le premier à utiliser le terme les idiots utiles. Qu’il ait forgé ce terme ou non, ses serviteurs dévoués, voire écervelés, lui auront été grandement utiles.

Alors que le communisme et le nazisme sont défaits, une troisième forme de totalitarisme prend le relais – l’Islamisme. Écoutons Salim Mansur : « In our time, Islamists are the ideological successors of Nazis and Communists, and similarly they oppose the freedom the West represents, Their ideology, Islamism, like Bolshevism, is disguised as religion – Islam – and this imperils the West from the inside. »

En effet, l’Islamisme présente un nouveau défi. Si son essor est attribuable à la prise du pouvoir de Ayatollah Khomeyni, en 1979, ses racines remontent à 1928, année où Hassan Al-Banna jeta des bases de la Confrérie des Frères musulmans. Persuadés qu’il faut chercher la cause de la régression de l’Islam et du sous-développement dans l’éloignement de la morale islamique, les Frères cherchent le salut dans la pensée intégriste d’ibn Abd al-Wahab, aujourd’hui devenue doctrine officielle de l’Arabie Saoudite. Le fanatique puritanisme des islamistes ne tolère aucun écart. L’épanouissement de l’humanité, exprimé à travers la liberté d’esprit et l’art, est conçu comme haram, un mal absolu. Défense donc de peindre. Défense de danser. Défense de chanter. Place à la prière ! L’alcool, étant haram, est à éviter, bien entendu, mais c’est surtout la femme qu’il faut soustraire aux regards car elle représente une tentation permanente. Alors… le voile, la burqa !

Ah, oui, le voile. Combien d’encre a déjà coulé au sujet de celui-là ! Combien de joutes verbales il y a eu entre les « pro » et les « contre » ce bout de tissu ! Comment l’expliquer ? Sans doute parce que ces affrontements relèvent du choc entre des concepts diamétralement opposés : il y a, d’une part, le concept de la liberté individuelle, chère à l’humanisme des Lumières et, d’autre part, le concept de la sauvegarde de la moralité qui ne peut être garantie que par le maintien des diktats archaïques, essentiellement religieux. Alors que l’Occident s’est en grande partie affranchi des fantasmagories religieuses, l’Orient en reste prisonnier. Le choc entre les deux est évident. Et le voile est la jauge par excellence du degré de l’évolution de la société. Là où la femme est libre de son corps, là où elle peut s’épanouir intellectuellement, la société est en bonne santé.

Or, force nous est de constater que le voile, ce symbole de l’archaïque oppression patriarcale, est de retour. Il suffit de se promener dans les rues de Tunis, du Caire ou d’Ankara pour s’en apercevoir. Le voile imposé. Mais aussi, hélas, le voile choisi volontairement. Que dire à ces femmes qui se voilent, croyant suivre des prescriptions religieuses, sinon que leur geste est insensé car il n’y a rien dans le Coran qui imposerait le port du voile. Faut-il leur dire que leur geste est rétrograde ? Faut-il leur rappeler qu’il y a eu le processus de « dévoilement », ce mouvement féministe, dirigé par Hoda Cha’rawi, mouvement qui a abouti à la célèbre manifestation au Caire en 1926, où les femmes, dans un geste théâtrale, ont jeté leur voile à la mer ? Faut-il leur rappeler que, dans les années soixante, en Tunisie, les femmes, encouragées par le clairvoyant Bourguiba, ont rejeté leur voile, elles aussi ? Et qu’en Turquie de Atatürk, si les femmes continuaient à s’accoutrer d’un foulard à la « babouchka », le prétendu voile « islamique » était inconnu ?

Le voile donc. Alors que cette évolution paraissait irréversible, le voile est de retour dans les pays islamiques. Qui plus est, il a enjambé le Bosphore et franchi l‘Atlantique pour faire son apparition là où il n’avait pas existé – en Europe et en Amérique. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui, loin d’être une simple expression de religiosité, est en fait une action politique ! Femmes voilées, intégrismes démasqués nous dit Yolande Geadah dans son livre publié en 2001. En effet, le voile n’est pas un simple bout de tissu, c’est un symbole politique. Le voile n’est que la pointe d’un iceberg. Il vient accompagné d’un cortège de revendications. Ce sont ces salles de prière qu’on exige dans les universités. Avec elles vient la revendication d’interrompre toutes les activités aux heures de prière. S’ensuit la demande de ségrégation sexuelle, les garçons d’un côté et les filles de l’autre. La revendication de séparation des sexes dans les piscines et dans les gymnases. C’est l’opposition à l’instruction -les cours de biologie représentant le haram doivent être interdits aux musulmans car on y parle de la reproduction sexuelle. La musique… haram, aussi… Enfin, toutes ces exigences, seraient-elles autre chose qu’un sabotage pur et simple des activités laïques ?

Brandissant l’interprétation littérale du coran, s’appuyant sur un mélange toxique de violence et de religion, utilisant le voile de la femme – tout en insistant sur son minorat – comme défricheur du terrain, les islamistes avancent leurs pions. L’idéologie qu’ils s’emploient à propager est une idéologie totalitaire et comme telle elle ne tolère aucune critique. Comme toute idéologie elle a besoin d’éléments de transmission. Et nous y voilà ! En effet, que dire de ces féministes qui, il y a une trentaine d’années de cela, s’insurgeaient à la vue des spectres embourquanés en Afghanistan mais qui aujourd’hui se battent pour le droit des femmes à se promener dans cet accoutrement ? Que dire de ces bien-pensants qui, sous l’étendard du pluralisme pavent la voie à l’intégrisme des plus violents ? Car – et ne l’oublions pas – les idéologies totalitaires prospèrent grâce à la terreur. Hélas, dû au règne du politiquement correct – qui, en fait, résulte du respect que l’Occident s’impose à l’égard de l’islam – la critique de l’islamisme est vue d’un œil suspect. Critiquer l’islamisme reviendrait à critiquer l’islam et critiquer l’islam ce serait ternir tous les musulmans et mettre leur vie en danger. Alors ? L’Occident s’autocensure.

Et c’est là le drame. Au lieu de rejeter la terreur islamiste catégoriquement, les idiots utiles ne font que l’avaliser en s’égarant sur des chemins étranges à la recherche des « causes du malaise » et prétendent les trouver dans l’autocritique de l’Occident.

L’histoire se répète, étrangement. Le plus affligeant dans cette affaire c’est que ceux qui contribuent à propager le mal, souffrent, tout comme du temps de Lénine et de Staline, d’une surdité pathologique. Les dupes modernes n’entendent pas les voix des penseurs, artistes, musiciens, penseurs islamiques qui, eux, s’insurgent contre l’Islamisme. Ces voix, loin d’être rares, témoignent d’un courage incroyable car, ne l’oublions pas, ce sont ces voix qui sont en première ligne de tir. Ces voix-là sont porteuses d’un tout autre message : loin du fanatisme meurtrier des intégristes, ces voix expriment la ferme confiance en un avenir de paix. Ce qu’elles nous disent, Abdelwahab Meddeb le résume dans son livre Contre-Prêches :

La critique dont l’islam a besoin pour s’adapter au siècle est en train d’avoir lieu. Et elle continuera, malgré les anathèmes et les résistances de toutes sortes. Ses effets iront en s’accumulant, même si l’actualité des crimes donne à ce débat une dimension tragique. C’est que l’histoire est tragique, et l’islam n’échappera pas à cette épreuve. Nul doute que le droit finira à s’imposer aux criminels. Mais, en attendant, il faut que, sans contrainte la parole s’exprime et touche au plus sensible, qu’elle lève des tabous et des interdits : ce sera un défi aux pulsions de mort… L’islam est aujourd’hui au carrefour de ses avancées et de ses archaïsmes, partagé entre ceux qui croient aux valeurs de la démocratie, de la liberté, de la création venue de l’homme, et ceux qui, aveuglés par leur fanatisme, les dénient au nom d’un mythique recours à ce qu’ils appellent la « souveraineté divine ».

Une voix merveilleuse qui vient réconforter notre humanité. Puisse les idiots utiles l’entendre !

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