Blogue 049 : Liberté de presse menacée

Décision inquiétante pour la liberté de presse

David Rand, 2014-10-17

La Cour supérieure du Québec vient de condamner la revue Les immigrants de la Capitale[1] à payer la somme de $ 7000 à une femme voilée Ahlem Hammedi et à son époux Saber Briki pour avoir publié leur photographie sans leur consentement. Au printemps 2012, l’éditeur de la revue, Mihai Claudiu Cristea, a photographié le couple au marché aux puces de Sainte-Foy, en banlieue de Québéc, le voile intégral (niqab) porté par la femme ayant causé un certain émoi parmi le public présent au marché. Quelques jours plus tard, il a publié dans la revue un article à ce sujet, « Choc visuel et stupeur au marché aux puces de Sainte-Foy », accompagné de ladite photo.

En apprenant que le couple était vexé par la publication de son article et la photograhie l’accompagnant, Monsieur Cristea leur a offert un droit de réplique, mais le couple a refusé et a intenté des procédures légales en décembre 2012.

Il faut se rendre compte que porter un voile intégral dans un marché public est un geste plutôt provocateur.

Selon le jugement[2], rendu le 13 septembre 2014, la publication de la photographie sans l’autorisation des intéressés constituait une atteinte à leur vie privée. Pourtant, Mme Hammedi n’était pas reconnaissable à cause de son voile et son mari difficilement reconnaissable étant donné la casquette qui lui cachait une partie du visage. De plus, selon Monsieur Cristea, le port d’un voile intégral constituait un sujet d’intérêt public évident, étant donné le débat autour des accommodements religieux qui venait de faire rage au Québec. Toutefois, le juge Marc Paradis a rejeté l’allégation, faite par Mme Hammedi, que l’article en question était diffamatoire et de nature à porter atteinte à son honneur ou à sa réputation.

Il faut se rendre compte que porter un voile intégral dans un marché public est un geste plutôt provocateur. Selon Frédéric Bastien, « Le port d’un signe religieux aussi ostentatoire que le niqab dans un lieu public est exactement le contraire d’un geste relevant de la vie privée. »[3] Par ailleurs, selon Djemila Benhabib :

Mihai Claudiu Cristea n’a fait que son travail de journaliste : nous informer […] Cet immigrant d’origine roumaine, installé au Québec avec sa famille depuis 2001, réalise que l’islam politique, menace planétaire, fait l’objet d’un large débat dans le monde. Des États s’en soucient, des intellectuels organisent des colloques et des séminaires à coup de milliers de dollars pour parler du sujet, des pays comme la France et la Belgique adoptent de nouvelles lois pour interdire le port du voile intégral, des journalistes sillonnent le monde pour rendre compte du sujet, en Tunisie un courageux doyen d’université a failli y laisser sa peau parce qu’il avait pris l’initiative de l’interdire dans les salles de cours. […][4]

Le geste de Monsieur Cristea se résume donc au simple constat d’une tenue vestimentaire ostentatoire, constat illustré par une photo accompagnée d’un court texte dans sa revue, un geste pourtant assez banal. Claude Simard et Claude Verreault observent que :

La lecture de l’article ne révèle aucune intolérance, le texte soulignant seulement le choc culturel causé par le niqab dans une société non musulmane ; quant à l’identification des personnes photographiées, elle s’avère pratiquement impossible.[5]

Heureusement, la somme de 7 000 $ accordée par le juge est bien inférieure au 150 000 $ demandé par le couple. D’ailleurs, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) accorde son appui à Monsieur Cristea et l’encourage d’en appeler de cette décision :

La FPJQ estime dangereuse la décision de la Cour supérieure du Québec de condamner l’éditeur d’un journal de Québec pour la publication d’une photo de presse qu’elle juge d’intérêt public. Cette décision porte atteinte à la liberté de presse, un droit fondamental au Canada. […]

La FPJQ s’explique mal pourquoi cette photo, prise dans un espace public à la suite du débat public sur les accommodements raisonnables qu’était la commission Bouchard-Taylor, et aux balbutiements d’un débat qui deviendrait celui de la Charte des valeurs, n’a pas été jugée d’intérêt public. Si un marché aux puces n’est pas un espace public, qu’est-ce qu’un espace public? Si le port du voile intégral en public n’est pas d’intérêt public, qu’est-ce qui est d’intérêt public? […]

[…] le droit à la vie privée n’existe pas en absolu; il doit être pondéré avec le droit du public à l’information.[6]

En effet, Monsieur Mihai Claudiu Cristea a manifesté son intention de porter la décision en appel.

Cette poursuite contre la revue Les immigrants de la Capitale s’inscrit dans une inquiétante vague de poursuites-bâillons intentées par plusieurs musulmans ou islamistes dans le but apparent de faire taire les critiques des intégrismes et les défenseurs de la laïcité, des poursuites dont les prétextes sont frivoles mais dont les conséquences éventuelles sont loin d’être anodines. Djemila Benhabib est elle-même la cible d’une de ces poursuites, parce qu’elle a critiqué publiquement l’endoctrinement des enfants dans une école musulmane de Montréal. Les pro-laïques Louise Mailloux, Philippe Magnan, et Vigile.net sont poursuivis par la militante anti-Charte Dalila Awada. Voir à ce sujet notre page « La multiplication des poursuites-bâillons menace la liberté d’expression »[7].

Vous êtes invités à accorder votre soutien financier[8] à la cause de Monsieur Cristea et de sa revue, cause si importante pour la liberté d’expression et pour la liberté de presse. Nous vous encourageons aussi à soutenir les cibles des deux autres poursuites si menaçantes pour nos libertés et, par extension, pour la laicité.

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