David Rand, 2015-02-21
C’est avec un profond sentiment de tristesse et d’outrage à la fois que j’ai appris que deux personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées dans deux attentats à Copenhague les 14 et 15 février 2015. L’assassin a été abattu par la police quelques heures après. Quoiqu’il ne soit pas toujours possible de connaitre avec certitude les motifs des auteurs de ce genre d’acte d’extrême violence, tout porte à croire que ces attentats s’inscrivent entièrement dans la même mouvance islamiste que les massacres à Paris en janvier dans les locaux de la revue Charlie Hebdo et dans une épicerie juive. En effet, les deux fusillades de Copenhague se sont déroulées d’abord lors d’une conférence publique « Art, blasphème et liberté d’expression », organisée pour rendre hommage aux victimes des massacres en France et ensuite dans la Grande Synagogue de la ville.
Les tragiques évènements de Paris avaient suscité un vaste mouvement international de solidarité avec les cibles des attaques, surtout avec les caricaturistes de Charlie Hebdo. La menace que représentent ces attaques pour la liberté de presse, pour la liberté d’expression et surtout pour la liberté de conscience a été maintes fois évoquée, à juste titre.
Toutefois, il n’y a pas eu unanimité. Le pape François Ier, quoique cultivant assidument une image de réforme et d’ouverture d’esprit dans le but apparent de ralentir la perte de vitesse et de fidèles qu’éprouve son Église depuis plusieurs décennies, a opiné que : « On ne peut provoquer, on ne peut insulter la foi des autres, on ne peut la tourner en dérision. »[1] Cette opinion n’a rien de suprenant pour quiconque se rappelle que l’Église catholique a été sans doute, et ce jusqu’à tout récemment, l’institution religieuse la plus obscurantiste, la plus rétrograde et la plus puissante de notre planète, même si elle se fait devancer actuellement par l’islam, en particulier par sa très menaçante variante qu’est l’islamofascisme – dont justement les propos de François excusent la violence. L’efficacité de la douce propagande franciscaine est telle que plusieurs ont effectivement oublié cela depuis l’avènement de ce nouveau pape ; il est donc très bien que François, plutôt par mégarde, nous le rappelle. La saine attitude irrévérencieuse que les autorités religieuses appellent couramment « blasphème » mine leur autorité et leur déplait énormément.
Soyons toutefois francs. Intimer, comme l’a fait le pape, que les caricaturistes assassinés auraient en quelque sorte mérité leur sort, même si nous nous attendions à une telle déclaration, est un geste salaud et odieux. (Si vous comprenez l’anglais, je vous conseille vivement la très irrévérencieuse vidéo « Fuck The Pope »[2] de Mr. Deity.) Par ailleurs, François n’a pas été le seul à s’exprimer ainsi.
La bonne direction à prendre, à la suite des tragiques évènements de Paris et de Copenhague, est précisément dans le sens opposé de celui que suggère le pape. Au lieu d’encourager l’auto-censure par « respect » pour les croyances qui n’en méritent pas, il faut supprimer formellement et définitivement les assises légales qui donnent existence à ce faux crime de « blasphème ». C’est-à-dire qu’il faut faire abroger partout, dans tous les pays du monde, toute loi qui criminalise la libre expression d’opinions religieuses[3], à commencer bien sûr par l’abrogation de l’article 296 du Code Criminel du Canada qui porte le titre « Libelle blasphématoire ».
De plus, il faut évidemment diffuser le plus largement possible les caricatures de Charlie Hebdo, au lieu de suivre le reflexe poltron de beaucoup de journaux qui les ont censurées, et encourager une analyse objective de leur contenu, afin d’affirmer la liberté d’expression et pour contrer la désinformation sensationnaliste répandue par des journalistes lâches ou ignorants et par des imams sans scrupule.
Sur ces entrefaites, un évènement sans lien apparent avec ces attaques meurtrières est survenu près de chez nous : la Cour fédérale du Canada a rendu une décision donnant gain de cause à une musulmane portant le niqab qui s’est opposée à l’obligation de se dévoiler lors de l’assermentation à la citoyenneté. Rappelons qu’en décembre 2011, le ministre Jason Kenney a annoncé que le port du niqab et de la burqa serait dorénavant interdit lors des cérémonies d’assermentation. La récente décision de la Cour vient donc supprimer cette contrainte. Quelques jours après, le gouvernement fédéral a annoncé son intention de porter cette décision en appel.[4]
Les partisans de la laïcité sont unanimes à favoriser la prohibition de tout vêtement qui cache le visage lors des cérémonies de citoyenneté. Je dis cela avec un certain petit sourire, car la certitude de cette phrase vient du fait qu’elle est une tautologie, c’est-à-dire vraie par définition. Quiconque permettrait aux demanderesses ou aux demandeurs de citoyenneté de se couvrir le visage durant l’assermentation s’opposerait de ce fait à la laïcité, étant probablement multiculturaliste. Premièrement, il est inacceptable qu’un signe religieux ou politique soit affiché d’une façon si ostentatoire qu’il prenne plus d’importance que la raison d’être de la cérémonie, c’est-à-dire le fait de se faire accueillir formellement par sa nation adoptive. Deuxièmement, même en l’absence de tout symbolisme, un vêtement qui obscurcit le visage est tout à fait incompatible avec l’occasion, et ce, même si on fait abstraction de toute considération de sécurité en s’assurant de l’identité de la personne autrement que par sa figure.
Combien de temps peut durer une séance d’assermentation à la citoyenneté ? Une heure ou deux ? Une demi-journée ? Un individu qui refuserait de se conformer à cette contrainte durant un évènement très court et pourtant si conséquent ne mériterait pas la citoyenneté, car il accorderait à cette dernière moins d’importance qu’il n’accorde à sa religion ou à sa tenue vestimentaire arbitraire. Cette contrainte est encore moins incommodante que celle d’interdire le port des signes religieux et politiques par les fonctionnaires publics au travail et elle est au moins aussi importante.
Il faut évidemment féliciter le gouvernement fédéral de sa bonne décision d’aller en appel. Cela n’implique nullement qu’il faille naïvement prendre notre premier ministre Harper et son parti conservateur pour des défenseurs de la laïcité. Au contraire, Harper et bon nombre de ses députés sont connus pour leur partisannerie chrétienne évangélique et les politiques socialement conservatrices qui en découlent. Rappelons par exemple le fameux Bureau de la liberté de religion mis sur pied par ce même gouvernement dans le but ostensible de promouvoir la liberté de religion au niveau international mais dont le but réel serait plutôt de plaire aux électeurs chrétiens évangéliques et de promouvoir leurs intérêts bien particuliers. Si le niqab était un accoutrement chrétien et non musulman, les choses se seraient probablement déroulées bien différemment.
Le gouvernement du Canada prend donc une bonne décision pour des raisons plutôt douteuses, ou peut-être par hasard, mais quoiqu’il en soit c’est la bonne décision.[5]
Or, malgré des apparences et malgré une énorme différence de degré, cette histoire de niqab a quelque chose de significatif en commun avec les récentes attaques islamistes en France et au Danemark. Dans les deux cas, les acteurs – les assassins dans le cas des attentats, la plaignante porteuse de niqab dans l’autre cas – accordent davantage d’importance à leur idéologie, c’est-à-dire à leur religion (ou à leur variante de celle-ci), qu’ils n’accordent à des considérations réelles, matérielles, des considérations bien terre-à-terre comme la loi humaine, la vie humaine ou les besoins humains.
Dans les deux cas, c’est à la « divinité » qu’ils accordent toute priorité, la divinité qui, selon eux, prescrit comment il faudrait se comporter et dont ils prétendent connaitre la volonté. Dans les deux cas, les acteurs agissent comme des enfants gâtés – des enfants très violents et meurtriers dans le premier cas – des enfants qui insistent que tout le monde autour d’eux change leur comportement pour accommoder leurs priorités personnelles et virtuelles, c’est-à-dire irréelles. La violence des assassins est physique, extrême et extralégale. La plaignante, pour sa part, cherche à subvertir les pratiques d’une société démocratique et de droit en utilisant des moyens légaux établis par cette société suite à un long et complexe processus de modernisation de mœurs, c’est-à-dire qu’elle utilise les outils d’une société libre et ouverte afin de promouvoir une idéologie fermée et liberticide.
Quant aux gens qui laisseraient faire cette plaignante, les gens qui n’accorderaient à l’État même pas le pouvoir d’imposer quelques règles élémentaires dans une cérémonie où cet État accorde formellement le privilège de la citoyenneté à des nouveaux, ils partagent avec les salauds – ceux qui intiment que les victimes des attentats l’auraient mérité – non seulement une incohérence intellectuelle mais aussi quelque chose d’indigne : ils s’inclinent devant les crises de colère de ces enfants gâtés, excusant et facilitant ainsi leurs méfaits.
Liens
- « Pape François et Charlie Hebdo : la liberté d’expression ne donne pas le droit d’“insulter” la foi d’autrui », 2015-01-15.
- « The Way of the Mister: Fuck The Pope! », Vidéo de Brian Keith Dalton, surnommé Mr. Deity.
- « End Blasphemy Laws », La campagne visant l’abrogation des lois sur le blasphème dans le monde entier.
- « Ottawa déterminé à interdire le niqab lors des cérémonies d’assermentation », 2015-02-12.
- « CE N’EST PAS LA FAÇON DE FAIRE ICI », Pétition du Parti Conservateur contre le port du niqab lors des cérémonies d’assermentation.
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Assiatou Diallo
Je suis une musulmane très liberale (comme certains amis me le disent) car je ne suis pas extrémiste; mais à l’origine, ce sont les hommes qui ont imposé le Niqab a leurs femmes car ils ne voudraient pas qu’un autre homme regarde leurs femmes, une absurdité.
Je ne suis pas catholique, ni rien de spécial, mais que l’on demande du respect pour les religions, n’a rien de choquant en soit. Par contre ce qui est choquant, c’est qu’il le fasse sans faire le méa culpa de ce qu’a fait l’église catholique au cours des siècles. L’avant avant dernier pape s’était excusé pour Jan Huss, mais la révision du procès n’a pas été faite, cela remettrait un peu trop en question beaucoup de choses.
Par contre je n’ai jamais lu un quelconque regret des actions de l’inquisition qui avait des méthodes que les SS n’auraient pas désavouées.
Enfin, si il fait référence à la bible, il y a une remarque qui est bien appropriée: Avant de voir la paille dans l’oeil de ton prochain, enlève la poutre qui est dans le tien (ou quelque chose de similaire).