Blogue 079 : L’essentialisme religieux est une imposture

David Rand

2016-12-18

Une version abrégée de ce texte est parue dans le Huffington Post Québec le 2016-12-22.


Par « essentialisme religieux », j’entends la notion que l’appartenance religieuse serait un trait essentiel de la personne, et que les adhérents d’une communauté religieuse particulière partageraient certaines caractéristiques qui seraient essentielles à cette religion. Nous observons que cette attitude d’essentialisme religieux se manifeste implicitement dans la façon dont certaines personnes parlent, par exemple, des chrétiens, comme si ces derniers constituaient un groupe monolithique. Mais cette habitude est encore plus évidente en parlant des minorités religieuses. (Toutefois, remarquons en passant que le christianisme, quoique traditionnellement religion majoritaire au Québec et au Canada, est en perte de vitesse et que les chrétiens pratiquants sont maintenant minoritaires.)

En effet, l’utilisation du mot « musulman » a malheureusement été corrompue par cette présupposition essentialiste, comme si les musulmans constituaient un bloc monolithique, ayant davantage en commun entre eux qu’avec les non musulmans. Cette évolution du sens du mot n’est pas que le fruit du hasard. Supposer que l’appartenance d’un individu à la communauté musulmane fasse partie intime de son identité est précisément ce que prônent les apologistes religieux — surtout les intégristes et les radicaux. Leur but, c’est que nous en fassions autant, car cela convient à leurs fins politiques.

Brouiller la distinction entre l’acquis et l’inné

Mais l’essentialisme religieux est complètement faux. Une religion n’est ni une ethnie, ni une « race ». C’est plutôt une idéologie, un ensemble de croyances, semblable à des opinions politiques. Un individu peut adhérer ou non à ce système de croyances. Après y avoir adhéré, il peut décider ensuite d’abandonner ce système pour adopter une autre religion ou pour n’en adopter aucune. Être musulman ou chrétien n’est pas un attribut inné ou immuable de l’individu. L’appartenance religieuse n’a rien à voir avec ni la génétique ni la race. Même l’orientation sexuelle, assujettie comme elle est à une certaine souplesse et fluidité, est bien plus innée que l’appartenance religieuse.

La nature non essentielle de la croyance et de l’appartenance religieuses devient évidente à la lumière de la provenance de cette appartenance. La religion à laquelle adhère un individu, s’il se trouve que ce dernier est croyant, est en général entièrement déterminée par le milieu dans lequel il a été élevé durant son enfance, c’est-à-dire que c’est le résultat de l’endoctrinement des enfants, sauf pour les cas peu nombreux des gens qui se convertissent à l’âge adulte. (Je ne tiens pas compte ici des conversions forcées qui sont plutôt la règle durant la période d’expansion d’une religion menant des guerres de conquête.)

Il est d’une importance capitale de faire cette distinction entre les caractéristiques acquises d’un individu et ses attributs innés. Éviter de faire cette distinction revient à nier sa liberté de conscience, car, si ses croyances sont immuables, alors il n’est pas libre de choisir. Par exemple, le mot « Juif » s’utilise dans les deux contextes, c’est-à-dire pour indiquer à la fois un système de croyance et une ethnie. Cette confusion de termes est à l’origine de beaucoup de mésententes : un individu qui critique la religion s’expose possiblement à de fausses accusations d’antisémitisme. Il est donc très important de distinguer la religion de l’ethnie. C’est pour cette raison que je préfère des termes comme « judaïsme » ou « judaïque » pour indiquer la religion, tout en réservant le terme « Juif » pour le groupe ethnique. Il y a beaucoup de Juifs qui sont athées et ne croient plus aux principes du judaïsme.

En matière de religion, il est toujours important de faire la distinction entre croyants et croyances, entre les êtres humains d’un côté et, de l’autre côté, les idées et les idéologies. Ce sont les êtres humains seuls qui ont des droits. Les droits humains ne s’appliquent pas aux idéologies que ces humains peuvent adopter, ni aux croyances religieuses auxquelles ils peuvent adhérer.

Les apologistes religieux, par contre, voudraient que l’on continue à brouiller la démarcation entre les croyants et les croyances. En fait, en ce qui concerne le mot « musulman », ils souhaiteraient que l’on efface complètement la distinction.

Islam et islamisme

Tout le monde sait que l’islamisme est une variante politique radicale de l’islam, une idéologie politico-religieuse se basant sur l’islam. Il n’est pas distinct de l’islam, mais plutôt un sous-ensemble de celui-ci. L’islamisme est bien compatible avec les principes de l’islam. Il en prend le pire, les aspects les plus rétrogrades, les plus obscurantistes, les plus inégalitaires, les plus antidémocratiques et les plus totalitaires afin d’imposer ces principes de façon intransigeante.

En faisant le promotion de l’essentialisme islamiste, c’est-à-dire en assimilant les musulmans à une communauté monolithique (comme le font les bigots comme Donald Trump et les dupes complaisantes comme Justin Trudeau), toute inquiétude publique résultant (très légitimement) du radicalisme islamiste se transforme en antipathie dirigée contre les musulmans en général. Ceci à son tour consolide l’idée fausse de l’essentialisme. C’est précisément ce que cherchent les islamistes radicaux, car leur but est de fomenter du ressentiment chez l’ensemble des musulmans, pour que ceux-ci se perçoivent comme victimes et cibles d’hostilité, afin de favoriser la radicalisation chez eux.

Apostasie et islam

La condamnation de l’apostasie par l’islam constitue un autre indicateur de la nature non essentielle de la croyance et de l’appartenance religieuses. Youssef al-Qaradâwî, théologien islamiste égyptien et mentor de premier plan de la confrérie des Frères musulmans, avoue que l’islam n’aurait jamais survécu sans la punition pour apostasie, incluant la possiblité de peine de mort. Il s’agit du déni absolu de la liberté de conscience de toute personne ayant eu la malchance de naître dans cette religion. Il s’agit aussi d’un exemple extrême de l’imposition de la mentalité essentialiste.

Ce qui est encore pire, c’est que beaucoup d’incroyants, voire des athées, tombent dans le piège d’accepter l’essentialisme qui sous-tend cette condamnation de l’apostasie. Ils acceptent implicitement l’idée fausse que les pratiques et les tenues religieuses seraient en quelque sorte obligatoires et incontestables, devant alors être accommodées. On se retrouve ainsi confronté au phénomène ridicule de gens se disant laïques mais qui s’opposent en pratique à la laïcité en prônant le communautarisme religieux (connu aussi sous l’appellation « multiculturalisme »), une idéologie essentialiste qui accorde davantage d’importance à l’appartenance ethnoreligieuse de l’individu qu’à sa liberté de conscience. Ce déterminisme ethnoreligieux est une version légère de l’interdiction de l’apostasie, constituant ainsi des menaces pour la liberté de conscience.

L’imposture de l’« islamophobie »

Le 26 octobre 2016, le parlement canadien a adopté à l’unanimité une motion, proposée pour de chef neo-démocrate Thomas Mulcair, condamnant l’« islamophobie ». De manière semblable, le 1er octobre 2015, l’Assemblée nationale à Québec a adopté une résolution similaire proposée par Françoise David de la formation Québec Solidaire. Chacune de ces actions constitue probablement la mesure la plus écervelée jamais faite par les législatures canadienne et québécoise. Dans le cas québécois, la motion dénonçait aussi les appels à la haine et à la violence, ce qui a sans doute facilité son adoption. Quoiqu’il en soit, dans les deux cas, il est évident que l’unanimité des votes a été atteinte par intimidation, les députés ayant sûrement peur de se faire accuser de « racisme », d’« intolérance » ou d’autres foutaises dans ce genre.

Nous constatons encore une fois que l’essentialisme sème la confusion et favorise le radicalisme religieux. La soi-disant « islamophobie » est une imposture car le suffixe « phobie » indique une peur irrationnelle, alors qu’il n’y a rien d’irrationnel à avoir peur d’une idéologie ou d’une religion. Ce terme est tout simplement une invention utilisée par les islamistes afin de censurer toute critique de l’islam, critique non seulement légitime mais en fait nécessaire dans toute société qui se prétend libre. Les députés aux législatures canadienne et québécoise se sont faits berner car ils n’ont pas osé remettre en question l’essentialisme.

Lorsque les islamofascistes et leurs dupes répondent aux critiques de l’islam et de l’islamisme par la diffamation et par des accusations d’« islamophobie » et de « racisme », ils cherchent délibérément à brouiller la ligne entre attributs acquis comme croyance religieuse ou opinion politique d’un côté, et les caractéristiques innées telles que le patrimoine génétique de l’autre côté. Leur but, c’est de rendre impossible toute critique de leur idéologie, comme si cette dernière avait les même droits qu’un être humain. Ils veulent nous faire croire qu’adhérer à l’islam serait une caractéristique innée et immuable — voici en fait la raison derrière les punitions draconiennes pour l’apostasie — lorsque, en réalité, être musulman est une caractéristique acquise par l’individu, une caractéristique qui se modifie volontiers si sa liberté de conscience est respectée.

Le voile n’est pas musulman ; il appartient à l’islamisme radical

Le voile islamiste sous toutes ses formes — le hijab, le tchador, le niqab, la burqa, le burkini, etc. — est un vêtement imposé par les islamistes, pas par l’islam en général. Il n’appartient qu’au sous-ensemble radical et politisé de l’islam. Dire que le voile est « musulman » est une sérieuse erreur qui conforte l’essentialisme, comme si le simple fait d’être musulmane obligeait une femme à porter le voile, comme si ce voile constituait un aspect essentiel de son identité. Ceci est exactement ce que les islamistes veulent nous faire croire. Il ne faut pas se laisser duper.

L’islam politique mène actuellement une campagne dans le but d’imposer ses symboles et ses valeurs partout où il peut trouver une ouverture pour le faire. La promotion des diverses variantes du voile islamiste fait partie de cette campagne de provocation et d’exhibitionnisme identitaire. Toute femme qui porte volontairement le voile islamiste participe un tant soit peu à cette campagne et devient ainsi complice des courants les plus rétrogrades et les plus fanatiques de l’islam. Toute femme qui porte volontairement le voile est donc une fanatique religieuse. Si elle porte un voile intégral tel que le niqab, elle est une extrême fanatique religieuse (comme Zunera Ishaq, tristement célèbre pour avoir gagner le « droit » de porter son niqab lors de sa cérémonie de citoyenneté canadienne).

De plus, les femmes non musulmanes qui font la sottise d’adopter le voile islamiste temporairement par « solidarité » sont irresponsables, car elle se font ainsi des alliées objectives de l’islam politique.

3 commentaires sur “Blogue 079 : L’essentialisme religieux est une imposture
  1. Gilbert Corniglion dit :

    Excellente remise en place des outils nécessaires pour avoir une réflexion éclairée sur le rapport entre religions et croyants.

    En l’utilisant, certains s’éviteraient le ridicule de penser le religieux en des termes antérieurs à l’émergence des sciences humaines. La plupart des sociologues contemporains utilisent le terme “islamophobe” pour disqualifier les légitimes critiques envers l’idéologie totalitaire qu’est l’islam des écritures (authentique car originel) et son déroulement dans l’Histoire, et ce faisant, piétinent, hélas dans un état de non scientificité, donc de subjectivité islamophile pour le coup. Les historiens prenant deux périodes éphémères et asymptomatiques de 1 400 ans d’islam (l’âge d’or andalou et l’âge d’or moyen-oriental, époques d’un foisonnement incontestable qui contrastent favorablement avec le gel et le recul civilisationnels de l’Occident médiéval)comme argument pour interdire toute critique contre une idéologie liberticie, aliénante, régressive et archaîque bien plus souvent qu’autrement. Voilà deux sciences humaines qui, au lieu d’éclairer, jouent le rôle de Cerbères contre les audacieux qui, légitimement, voudraient analyser – non pas l’essence introuvable, on l’a bien compris – mais la variété et la tendance centrale des manifestations sociétales et psychologiques de cette idéologie. Si on se pliait aux interdits de ces 2 sciences humaines dévoyées, Max Weber serait un vicieux blasphémateur à vouloir chercher – et trouver – un certain rapport entre le protestantisme et l’accumulation capitaliste, Émile Durkheim serait un irrespectueux nécrophile à chercher – et trouver – des rapports complexes entre appartenance religieuse – entre autres facteurs – et commission du suicide, Sigmund Freud un immonde fétichiste reniflant le linge sale à vouloir chercher – et trouver – des rapports entre religions et stades infantiles de la sexualité, tabou, Çà, surmoi, Moi, refoulement, désirs, interdits, sublimation, etc… Ces trois exemples expressément choisis car ils sont généralement admis comme des jalons dans la naissance des sciences humaines. On aurait pu prendre Ibn Khaldûm et son cycle des sociétés.
    En bref, passons outre aux diktats de ces nouveaux obscurantistes et allons de l’avant dans l’étude des religions.

    Une incise à propos d’essence et existence, avec le contraste entre islam et judaïsme.
    Une fois admis le fait qu'”on ne naît pas musulman, mais on le devient”, il reste que le mode d’imposition de l’islam aux enfants (précoce, insistant, physiquement, psychologiquement et symboliquement violent) fait qu’au terme du processus d’endoctrinement, l’individu est explicitement doté d’un appareillage mental propre à y demeurer fidèle toute sa vie d’adulte durant et le dissuadant d’en sortir en devenant sceptique, non pratiquant et surtout apostat. Il est vrai que la menace est répétée. Mais elle ne serait pas aussi efficace si elle n’était intériorisée et intégrée à un ensemble d’actes violents dont la circoncision est le premier chapitre et le dressage à la différenciation sexuelle (l’apprentissage aux statuts symétrique de dominant-mâle / dominée – femelle)les chapitres suivants (on ne prie pas, on ne pratique pas le ramadan de la même manière lorsqu’on est gars ou fille, et même la tombe d’un défunt se différencie de celle d’une défunte, etc…).

    Bref, sans être une essence, l’inculcation de l’islam à 1.5 milliards d’individus appartenant à des univers culturels distincts fait qu’il y a une identité musulmane qui les rapproche. Et ceci d’autant plus que, outre la circoncision, le texte coranique répète ad nauseam la distinction entre le musulman et le non musulman, créant une identité par contraste et en des termes discriminants sinon insultants auxquels il est difficile de se déprendre. À cela s’ajoute l’identité de sexe très contrastée évoquée plus tôt. De cela découle une identité musulmane très défensive que l’on pourrait prendre pour une essence, tellement peu de musulmans osent s’en distancer et tellement le terme musulman “modéré” est vécu comme une insulte car elle passerait pour une trahison.
    Ce qui explique la réaction extrêmement violente des populations musulmanes à la moindre critique fondée envers l’islam, que nos sociologues islamophiles et islamolâtres relaient avec enthousiasme en les traitant de racistes.

    Par contraste, l’identité juive tout autant intériorisée avec force, permet pourtant qu’une immense majorité de “juifs” se qualifient de juifs culturels – et très peu cultuels – professant le rationalisme, le scepticisme et bien souvent l’athéisme, voire l’antisionisme radical (Edgar Morin, Rony Braumann, etc…). Une attitude connue : Einstein, Marx, Chomsky, Freud, Spinoza, Léonard Cohen (ouvert aux spiritualités orientales), etc… fréquente en judaïsme, mais infiniment plus exceptionnelle dans l’identité musulmane.

    Ces distinctions faites, la critique virulente des manifestations les plus courantes de l’islam doit être décomplexée et encouragée. Tout le monde a tout à y gagner, d’abord les musulmans qui n’oseraient pas, mais aussi le reste du monde dont l’islam menace les valeurs et les identités : qu’on ne s’y trompe pas, la rage de Poutine à soutenir Al-Assad a plus à voir avec le soutien anti fondamentaliste d’un identitaire chrétien orthodoxe menacé au Caucase ou en Asie ex-soviétique qu’à un internationalisme prolétarien. Il y a nécessité d’un internationalisme progressiste anti musulman : ce ne sera pas de sitôt que le courant dominant de l’islam sera compatible avec les Lumières et l’humanisme. Entre temps, il nous menace. Autant le connaître.

  2. Pierre Thibault dit :

    Je ne suis pas convaincu qu’il faille faire une différence entre islam et islamisme. Cela me semble être la même chose. La différence se trouve dans la façon de penser des musulmans et c’est cette façon penser qui définit comment cela s’applique en action.

    « L’islam politique mène actuellement une campagne… » Non, l’islam est une idéologie et ce sont des islamistes qui mènent une campagne. Ce sont des personnes.

    Excellent texte David! Il était temps qu’on sépare les idées des personnes. Ce mélange mène à tant de souffrance.

  3. Michel THYS dit :

    Les croyants ne réalisent pas qu’eux aussi sont nés “a-thées” et que la foi leur a été imposée, a priori “de bonne foi” mais précocement, en l’absence d’esprit critique et d’alternatives non confessionnelles.
    Les musulmans surtout n’ont donc pas choisi leur religion, ni même de croire, et encore moins compris que les dieux n’ont qu’une existence subjective, imaginaire et donc illusoire.
    Le Belge que je suis vous propose une approche inhabituelle « neuroscientifique ?» du phénomène religieux :
    http://originedelafoi.eklablog.com/-a126973612
    Elle me semble conforter les points de vue émis. 

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