Blogue 123: Relativisme culturel, impérialisme culturel et la Loi 21

Les opposants de la Loi 21 rejettent l’objectivité

David Rand

2021-06-02

Supposons que nous soyons confrontés à une situation où des valeurs incompatibles se heurtent, où deux groupes de gens qui entrent en contact ont des visions très différentes d’une question sociale donnée. Les deux groupes peuvent correspondre à différentes parties d’une ville, d’une région ou d’un pays, ou un groupe peut être des immigrants nouvellement arrivés tandis que l’autre groupe comprend des résidents de longue date, ou les deux groupes peuvent correspondre à des pays voisins qui cherchent un moyen de coopération. La question à l’origine du conflit peut être une question sociale telle que l’égalité entre les femmes et les hommes, la peine de mort, les relations entre la religion et l’État, les droits des homosexuels ou l’une des nombreuses autres préoccupations possibles.

Il existe différentes façons de tenter de résoudre le conflit, et à mon sens nous pouvons les placer sur un continuum à deux extrémités. Ces solutions extrêmes sont le relativisme culturel et l’impérialisme culturel.

Le relativisme culturel est l’hypothèse qu’aucun système de valeurs d’aucune culture n’est meilleur ou pire que celui de toute autre culture. En termes familiers, cette attitude culturellement relativiste peut se résumer ainsi : « Qui suis-je pour juger ? » C’est un refus de juger, un refus de porter des jugements de valeur. Paradoxalement, cette attitude repose néanmoins sur un jugement — et assez sévère en plus, le jugement selon lequel toutes les normes culturelles sont de valeur égale. Tout est également tolérable. Tout se vaut.

L’autre extrême, à l’opposé du relativisme, est l’impérialisme culturel ou l’hégémonie culturelle, c’est-à-dire la pratique d’imposer un système de valeurs (généralement celui d’un groupe politiquement dominant) sur une société dominée, sans tenir compte de la valeur ou des qualités relatives des différentes pratiques. Ainsi, l’impérialisme culturel implique un jugement péremptoire basé entièrement sur la volonté, voire les caprices, du groupe dominant, qui possède le pouvoir.

Permettez-moi de suggérer une meilleure approche, loin de ces deux extrêmes, quelque part entre les deux, une approche qui n’accepte ni ne rejette d’emblée une valeur mais tente de comparer et d’évaluer les valeurs conflictuelles. Cette approche, je l’appelle la comparaison interculturelle (à ne pas confondre avec l’interculturalisme). J’entends par là la pratique qui consiste à comparer les différentes réponses à une question ou à un problème donné dans le but de les évaluer. Nous devons choisir objectivement la solution la meilleure, quelle qu’en soit son origine. Le but est de décider quelle pratique est préférable ou bien, si une décision objective et claire est difficile ou impossible à prendre, de conclure qu’aucun choix ne doit encore être fait, du moins pour le moment.

Considérons alors un exemple concret : le port de signes religieux ostentatoire au travail, tout en travaillant dans la fonction publique, y compris les écoles publiques.

Dans certaines sociétés, le port de signes religieux partout est tout à fait normal et conformiste, voire obligatoire. Dans d’autres sociétés, ce port est considéré comme provocant ou agressivement exceptionnel, voire hostile. C’est notamment le cas du voile islamique, en particulier du voile intégral, qui est objectivement une bannière de misogynie, un emblème dégradant de l’assujettissement des femmes.

D’ailleurs, selon certaines personnes, un tel comportement de la part de fonctionnaires ou d’enseignants est totalement inoffensif, une simple expression de sa liberté religieuse, ou peut même être considéré comme louable en tant qu’expression saine de son identité personnelle. Mais selon d’autres, de telles manifestations ostentatoires d’appartenance religieuse constituent une forme de prosélytisme, inacceptable pour un employé de l’État en service.

Face à cette confrontation de valeurs, les opposants à la Loi 21 du Québec adoptent une position doublement extrémiste.

C’est-à-dire que les opposants à la Loi 21 adoptent une attitude de relativisme culturel à l’égard des pratiques religieuses en général, comme si ces pratiques avaient peu ou pas de conséquences négatives et peu ou pas d’impact sur les autres personnes. Dans le cas particulier où la pratique est de porter un symbole ostentatoire de sa religion, les opposants à la Loi 21 traitent le symbole comme dépourvu de toute signification objective, ayant un sens uniquement dans l’esprit du porteur, c’est-à-dire qu’ils ne reconnaissent que la signification subjective que la personne qui le porte y assigne elle-même.

Au Canada, cette mentalité est imposée par le multiculturalisme qui est fondamentalement synonyme de relativisme culturel. Il est important de reconnaître que le multiculturalisme canadien n’est pas synonyme de diversité culturelle comme le prétendent souvent, et malhonnêtement, ses partisans. Il s’agit plutôt d’une idéologie consacrée dans la loi et qui aboutit à un privilège religieux, car elle favorise une attitude de tolérance exagérée et malsaine des pratiques religieuses. Les multiculturalistes canadiens ont tendance à ne critiquer que les pratiques religieuses les plus néfastes et les plus flagrantes — comme les mutilations génitales féminines par exemple — et même dans ce cas, ils ne le font que timidement, refusant de condamner ces pratiques comme barbares. Les multiculturalistes canadiens s’abstiennent totalement de s’opposer à des pratiques religieuses moins extrêmes mais néanmoins néfastes telles que le voilement des fillettes ou le jeûne dans les emplois où la vigilance est nécessaire pour des raisons de sécurité.

Au contraire, le gouvernement canadien, au nom du multiculturalisme, célèbre même des pratiques pernicieuses, comme le port du voile islamique, voire du voile intégral, des pratiques religieuses qu’il ne faudrait jamais favoriser et qu’il faudrait plutôt interdire dans certaines situations. Ainsi, les multiculturalistes canadiens adoptent une attitude de tolérance extrême à l’égard des pratiques religieuses ainsi qu’une attitude d’intolérance extrême à l’égard de quiconque serait en désaccord avec eux. Ils refusent de juger le signe religieux et, par conséquent, ils portent un jugement de valeur très négatif sur quiconque voit et juge le signe pour ce qu’il représente objectivement.

Si, au lieu du relativisme culturel du multiculturalisme, nous adoptions une attitude de comparaison interculturelle, nous rechercherions un équilibre entre tolérance et intolérance, ni l’une ni l’autre n’étant une vertu absolue. Lorsque les pratiques religieuses sont anodines ou font peu de mal, et seulement à la personne qui les pratique, elles devraient être autorisées (mais pas bêtement encouragées) au nom de la liberté personnelle. Mais là où les pratiques religieuses deviennent plus néfastes — et surtout si elles ont un impact sur autrui, en particulier sur les enfants — alors certaines contraintes juridiques peuvent être appropriées.

Simultanément, ces mêmes opposants canadiens à la Loi 21 adoptent une attitude d’impérialisme culturel à l’égard de la laïcité. L’idée d’interdire le port de signes religieux par les fonctionnaires ou les enseignants est considérée comme un anathème par ceux qui souscrivent au multiculturalisme canadien. Le fait que les laïques du monde francophone aient une vision très différente n’a pour eux aucune conséquence, si ce n’est de rejeter cette vision avec un mépris absolu. Ainsi, les opposants à la Loi 21 sont des impérialistes culturels, forçant la conformité avec le multiculturalisme — norme anglo-américaine — au détriment de la laïcité — pour laquelle le Québec, comme la France, est à l’avant-garde.

Au lieu de rejeter la laïcité pour des raisons d’impérialisme culturel, que se passerait-il si nous adoptions une attitude de comparaison interculturelle face à cette question? Bien que le concept de laïcité, y compris la séparation religion-État, soit connu dans le monde anglophone, il n’est pas appliqué de manière cohérente. Permettre à un policier, par exemple, de porter un crucifix ostentatoire, un hijab ou un autre signe religieux au travail est une violation évidente de la séparation religion-État et donc inacceptable. Plusieurs pays européens, et pas seulement la France, ont des lois qui respectent bien mieux ce principe de séparation. Par exemple, une loi adoptée par la République et le Canton de Genève en Suisse, stipule que les agents de l’État, lorsqu’ils sont en contact avec le public, doivent s’abstenir de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs. La Loi 21 au Québec est plus faible que cela car elle ne s’applique qu’à une partie de la fonction publique.

L’essentiel est le suivant : le sécularisme appliqué dans le monde anglophone — je l’appellerais plutôt un pseudo-sécularisme — est évidemment inférieur à la laïcité plus achevée appliquée dans plusieurs pays européens et au Québec. Cette dernière aide à protéger la liberté de conscience des usagers de la fonction publique et des élèves dans les écoles, en imposant aux fonctionnaires et aux enseignants une contrainte modeste et raisonnable. Permettre aux agents de l’État de porter des signes religieux au travail violerait la neutralité religieuse de l’État qui est si nécessaire pour protéger les citoyens. Même la Cour suprême du Canada a reconnu ce principe dans sa décision de 2015 dans l’affaire de la prière au Saguenay.

Le choix est clair : le modèle québécois est supérieur. Si l’on ne reste pas aveuglé par le conformisme à l’anglo-ethnocentrisme, si l’on considère objectivement les deux modèles, il est évident que la laïcité est préférable au multiculturalisme, et de loin.

Pour résumer, lorsque les Canadiens — surtout ceux qui prétendent hypocritement promouvoir le sécularisme — rejettent la Loi 21, ils se livrent à l’impérialisme culturel à l’égard du Québec, tout en s’adonnant simultanément au relativisme culturel à l’égard des pratiques religieuses.


2 commentaires sur “Blogue 123: Relativisme culturel, impérialisme culturel et la Loi 21
  1. Réal Boivin dit :

    Beau texte David. Il doit être diffusé dans les médias anglais.

  2. Pierre Thibault dit :

    Le problème est que la loi 21 n’a pas à interdir les signes religieux aux enseignants. Cette interdiction est déjà présente puisse qu’on exige déjà de ces enseignants qu’ils soient non partisans et neutres. Mais, comme on peut le voir, quand il est question religion, la loi ne s’applique pas et on se sent obligé de devoir le dire de nouveau. Et c’est là que se situe le problème: le privilège religieux. Le privilège religieux permet que des lois ne s’appliquent pas ou s’appliquent moindrement pour des religions qui sont reconnues par l’État. De plus, ce privilège permet légalement l’expression de la haine religieuse et ils protègent les religieux qui en vont usage de la critique par la censure sociale qu’on retrouve particulièrement sur les réseaux sociaux et peut-être bientôt, même de la censure légale. Bref, c’est le monopole des propos haineux qu’on accorde aux religions et quiconque le dénonce se voit traité d’intolérant.

    Il est temps que les opposants de la loi 21 s’en rendent compte: la laïcité est d’actualité au Québec depuis le temps des Patriotes. Ce n’est pas un problème qu’on peut mettre sous le tapis et l’oublier. La religion est une déviance non compatible avec un État de droit moderne qui accorde les mêmes droits à tous. Il faut plus que la laïcité. Il faut un État qui combat en permanence le sectarisme et qui instaure des lois pour combattre le méfait religieux comme cela a déjà été fait pour combattre le tabagisme à un autre époque. La religion doit être vue comme une déviance intellectuelle dont les conséquences peuvent être délétères voire mortelles.

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