Comprendre le jugement de la Cour supérieure du Québec sur la Loi 21
Rendu par le juge Marc-André Blanchard, le 20 avril 2021
Ce qu’il faut savoir
David Rand
- Il est tout d’abord très évident dans sa décision que le juge déteste la Loi 21 et déteste la laïcité et fait tout ce qui est en son pouvoir pour abroger cette Loi, mais que les dommages qu’il veut y faire sont limités par le fait que les auteurs de la Loi ont eu la sagesse d’invoquer certaines clauses des Chartes qui limitent le pouvoir des juges.
- Rappelons que la Loi 21 est une loi sur la laïcité, une loi bien modérée et très modeste, qui interdit à certains fonctionnaires, y compris aux enseignants, le port de signe religieux au travail, tout comme la Loi sur la fonction publique (LFP) du Québec interdit aux fonctionnaires de faire de l’affichage politique partisans. En fait, la Loi 21 est bien plus faible que la LFP, et plus faible aussi que des lois similaires dans quelques pays d’Europe. De plus, la Loi 21 définit la laïcité et ajoute ce principe à la Charte québécoise. Finalement, elle interdit le port de couvre-visage lors de la prestation et la réception de services civils.
- Il y a deux Chartes qui sont pertinentes ici :
- La Charte des droits et libertés de la personne du Québec, adoptée le 27 juin 1975 et en vigueur depuis le 28 juin 1976, qui a priorité sur toute autre législation québécoise. Toutefois, afin de protéger la souveraineté parlementaire, l’article 52 permet à une loi de s’exempter de certaines clauses de cette Charte si la loi en fait une déclaration explicite.
- La Charte canadienne des droits et libertés, qui fait partie de la Constitution canadienne de 1982, donc adoptée quelques années plus tard, ratifiée par neuf provinces sur dix — mais jamais par le Québec. L’article 33 est ce que l’on appelle la clause « nonobstant » ou « dérogatoire » qui permet aux législatures d’outrepasser temporairement (pour une période de cinq ans) certaines portions de la Charte et dont l’insertion a été négociée par certaines provinces, notamment la Saskatchewan, afin de protéger la souveraineté parlementaire. La Charte canadienne est suprême au Canada, sauf si cet article 33 est invoqué.
Pour résumer, nous constatons ici une confrontation entre la branche législative et la branche judiciaire. Les auteurs des deux Chartes ont cherché un certain équilibre entre ces deux branches.
- La Loi 21 du Québec invoque les clauses « dérogatoires » des deux Chartes, québécoise et canadienne, afin de protéger cette législation contre les contestations devant les tribunaux.
- Le jugement de la Cour valide la Loi 21 pour la plupart, pour la simple raison que le juge n’avait pas de choix, parce que cette Loi invoque la clause dérogatoire de la Charte canadienne. Toutefois, le juge se sert de deux échappatoires — c’est-à-dire les articles 3 et 23 auxquels la clause dérogatoire ne s’applique pas — afin de faire à la Loi 21 le maximum de dommages possible.
- L’article 3 de la Charte canadienne guarantit le droit de vote et l’éligibilité aux élections législatives. Le juge s’en est servi pour révoquer la partie de la Loi 21 qui interdit aux député(e)s à l’Assemblée nationale le port de couvre-visage. (À NOTER : la Loi 21 n’interdit pas le port de signes religieux aux député(e)s, mais seulement au président et au vice-président de cette Assemblée.) Donc, le résultat de cette décision est qu’un(e) député(e) peut maintenant siéger en portant un niqab.
- L’article 23 de la Charte canadienne traite des droits des minorités linguistiques anglophones et francophones. Le juge s’en est servi afin de révoquer l’application de la Loi 21 aux écoles de langue anglaise au Québec. Cela revient à de la discrimination contre les enfants de langue anglaise, les privant de la protection que la Loi 21 leur fournirait. Par conséquent, cette exemption fait une partition du Québec sur des bases linguistiques, avec des règles différentes qui n’ont rien à voir avec la langue. Cela implique-t-il que les commissions scolaires francophones hors Québec peuvent dorénavant interdire le port de signes religieux à leurs enseignants ? Après tout, si on peut exempter les écoles anglaises au Québec, comment peut-on ne pas exempter les écoles françaises hors Québec ?
- Dans les deux cas — l’éligibilité aux élections et les droits des minorités linguistiques — le juge fait une interprétation extrêmement exagérée du droit correspondant. En fait, son interprétation est absurde. Dans quel univers interdire aux enseignants le port de symboles religieux serait-il discriminatoire sur la base de la langue ? Dans quel univers pourrait-on justifier de permettre à un membre siégant dans une législature de cacher son visage ? Comment diable l’interdiction du couvre-visage pourrait-elle brimer le droit de cette personne de se porter candidat à un poste élu ?
- Le jugement rejette du revers de la main l’exemple de plusieurs lois européennes qui sont semblables à la Loi 21 (mais parfois bien plus fortes).
- Le jugement rejette la spécificité du Québec à l’intérieur du Canada mais, par contre, il affirme la spécificité des anglophones à l’intérieur du Québec, d’où l’exemption pour les écoles de langue anglaise. Cette incohérence — pour ne pas dire hypocrisie — est flagrante.
- Le jugement rejette d’emblée toute comparaison entre les signes politiques et religieux. Le juge justifie ce geste en alléguant que l’interdiction des signes religieux (à l’opposé des signes politiques) violerait « l’âme ou l’essence » du croyant religieux. Le jugement se lit comme s’il avait été rédigé par un théologien : le juge critique même la Loi 21 d’avoir ignoré la loi des dieux ! « Elle ne peut en faire abstraction », écrit-il. Juge Blanchard serait-il si naîf qu’il pense que de telles lois de « dieu » puissent avoir été pondues par quelqu’un d’autre que des êtres humains ? Sa mentalité est médiévale.
- Le jugement essentialise l’appartenance religieuse, comme si cette appartenance était innée et immuable comme l’identité raciale. Cette essentialisation implique la négation totale de la liberté de conscience, comme si chaque individu restait prisonnier de la tradition religieuse dans laquelle il a eu la chance douteuse de naître. Ainsi, la religion comme destin inéluctable !
- Le jugement privilégie les religions en accordant à la liberté de religion une priorité plus haute que celle accordée à d’autres libertés :
- Plus haute de la liberté de s’affranchir de la religion (tandis que ces deux libertés devraient avoir une importance égale).
- Plus haute de la liberté de conscience (qui en réalité comprend les deux autres en tant que sous-ensembles).
- Plus haute de la liberté d’opinion politique, à l’aide de ce prétexte de « l’âme ou l’essence » dont le juge se sert pour prétendre que les signes religieux seraient beaucoup plus importants que les symboles politiques. en réalité, un signe religieux est tout à fait politique, surtout s’il est porté par un fonctionnaire dans une position d’autorité.
- Le jugement participe à cette campagne hystérique de haine contre la laïcité et contre les Québécois, qui l’appuient à une forte majorité, en utilisant des expressions et un langage tendancieux, comme « tyrannie de la majorité ». Ce préjugé anti-Québécois a toujours été un thème majeur de l’histoire du Canada.
- L’association avec laquelle je travaille, Libres penseurs athées, est intervenu dans cette cause devant la Cour, en appui à la Loi 21. Le jugement reprend sommairement notre intervention, mais n’en tient pas compte. On peut en dire autant des argumentations de deux autres organismes qui, eux aussi, sont intervenus en appui à cette législation : le Mouvement laïque québécois (MLQ) et l’organisme féministe Pour les droits des femmes du Québec (PDF-Q). Les arguments en faveur de la Loi 21 ne sont tout simplement pas pris en compte. L’argumentation et les conclusions du juge se basent presque entièrement sur les arguments présentés par les adversaires de la laïcité.
- En particulier, le jugement insiste massivement sur la liberté de religion des enseignants et des fonctionnaires, tout en ignorant complètement la liberté de conscience des élèves et des usagers de service civils. Ce faisant, l’arrêt place la liberté de religion au-dessus de toutes les autres libertés, et en particulier au-dessus de la liberté de s’affranchir de la religion (tel que déjà mentionné au point 13).
- Une petite mais bonne nouvelle : le juge rejette l’argument spécieux selon lequel la Loi 21 violerait l’égalité des sexes garantie par l’article 28 de la Charte canadienne. Toutefois, l’argument qu’utilise le juge est hautement technique et n’affirme pas le point le plus important : ce sont les religions — dont l’influence dans l’État la Loi 21 tente de limiter — qui sont la cause du sexisme et de la misogynie. La Loi 21 aide à protéger l’égalité des sexes et il est absurde de prétendre le contraire.
- L’appel: Dès sa publication, le gouvernement du Québec a annoncé immédiatement son intention de porter le jugement en appel puisque, selon ce gouvernement, ce jugement crée « deux Québec » avec son exemption pour les école anglaises. Plusieurs adversaires de la Loi 21 — le CNMC (Conseil national des musulmans Canadiens), la ACLC (Association canadienne des libertés civils) et la FAE (Fédération autonome de l’enseignement) — ont indiqué qu’ils feront aussi appel dans l’espoir de faire abroger entièrement la Loi 21. La FAE est un syndicat d’enseignants qui n’a pas consulté ses membres à ce sujet depuis 2012 lorsque 77 % des 1955 membres sondés ont convenu que les représentants de l’État ne devraient pas porter de symboles religieux visibles. En d’autres termes, la direction syndicale poursuit un objectif idéologique et demeure déconnectée de ses propres membres.
Au point 8, David Rand demande dans quel univers l’interdiction aux enseignants de porter des signes religieux est une discrimination basé sur la langue et que les membres d’une assemblée législative peuvent cacher leur visage. Vivant en Ontario, je crois avoir la réponse: L’univers du multiculturalisme Canadian.