« Le droit d’emmerder Dieu »

Richard MALKA,
Grasset, Paris, 2021

Recension par David Rand

2022-06-18

Le droit d’emmerder Dieu

Un tout petit bouquin (moins de cent pages) mais ô combien important, basé sur le plaidoyer, le vendredi 4 décembre 2020, de l’auteur Richard Malka en tant qu’avocat de la revue Charlie Hebdo devant la cour d’assises spéciale à Paris, lors du procès des attentats de janvier 2015. L’auteur souligne l’importance de pouvoir critiquer les idéologies et les religions :

« Les croyances ne peuvent jamais exiger le respect. Seuls les hommes y ont droit. Aucune croyance, aucune idée, aucune opinion ne peut exiger de ne pas être débattue, critiquée, caricaturée. Parce qu’à défaut, on n’accepterait plus de vivre qu’entre personnes pensant la même chose. Et tout débat, toute controverse serait estimée “offensante”. C’est le chemin de l’obscurantisme. Les idées, ça se confronte et ça se débat. »

Malka explique que les obscurantistes fanatiques religieux, ceux qui cherchent à imposer le délit de blasphème par la violence meurtrière dans un pays comme la France où ce délit n’existe pas dans la loi, détestent la liberté. Leur idéologie se prétend universaliste, mais un universalisme « construit sur le dogme et la soumission » complètement à l’opposé de l’universalisme républicain, porteur de raison et de liberté. « Alors nous pourrions renoncer à tout ce que nous voudrons, ils ne s’arrêteront pas tant qu’ils ne nous auront pas transformés en poissons rouges tournant en rond dans un bocal. »

Ce petit volume inclut une chronologie des événements qui ont mené à l’attentat du 7 janvier 2015 chez Charlie Hebdo. Pour Malka, la matrice de 2015, c’était l’assassinat, à Amsterdam en 2004, de Theo van Gogh, réalisateur du film Submission en collaboration avec Ayaan Hirsi Ali. Un an plus tard débute la longue histoire des caricatures, d’abord celles publiées dans la revue danoise Jyllands-Posten. L’auteur insiste sur un aspect crucial mais moins bien connu de cette affaire : l’escroquerie commise par plusieurs imams danois qui ont falsifié le dossier des caricatures plutôt anodines publiées par la revue en y ajoutant trois dessins très provocants trouvés ailleurs. Ce dossier agrandi a été diffusé très largement dans plusieurs capitales arabes. Résultat : le monde s’est enflammé.

En février 2006, les caricatures danoises sont publiées dans France Soir et dans Charlie Hebdo. En novembre 2011, les locaux de Charlie sont la cible d’un incendie criminel. En janvier 2015, c’est l’affreux attentat chez Charlie, faisant 12 morts et quatre blessés graves, ainsi que celui de l’Hyper Cacher. Finalement en automne 2020, c’est le procès de ces attentats.

Malka dénonce une longue liste de figures et associations qui ont lamentablement échoué à soutenir les valeurs de liberté d’expression et liberté de critiquer les idées, y compris le président Chirac et plusieurs ministres de son gouvernement en 2006. La Ligue des droits de l’homme, fondée au moment de l’affaire Dreyfus par Ferdinand Buisson — un des inventeurs de la laïcité —, a tristement trahi sa propre histoire en se rangeant du côté des obscurantistes. Deux députés du parti UMP ont même déposé une proposition de loi pour rétablir le délit de blasphème. Le très douteux Jean-Luc Mélenchon, récemment (2022) candidat à la présidence de France, a accusé Charlie d’« islamophobie » et de « racisme ».

Certains détracteurs ont même été jusqu’à tracer une cible dans le dos des journalistes et dessinateurs de Charlie Hebdo, une cible dont la nature métaphorique ne l’a pas pour autant rendue moins mortelle. Parmi les pires, le PIR bien sûr, le Parti des Indigènes de la République, qui a adopté une attitude carrément haineuse à l’égard de ceux qui ont publié les caricatures.

En passant, l’auteur lance quelques flèches bien méritées en direction des « universitaires gavés de communautarisme anglo-saxon » et vers Justin Trudeau « qui nous donne des leçons d’accommodement déraisonnable ».

Malka remercie ceux et celles qui ont soutenu la revue, comme SOS Racisme et l’Union des étudiants juifs de France. Il reconnaît aussi la démarche positive de deux anciens adversaires qui ont évolué vers une certaine reconnaissance des valeurs républicaines.

Les enjeux de ce procès sont d’une importance capitale :

« Les trois mois de ce procès ont été tragiques, mais ils ont été un formidable accélérateur de la marche de notre histoire collective jusqu’à nous conduire à la croisée des chemins. Je ne sais pas quelle direction nous prendrons, celle du crépuscule des Lumières ou celle d’une nouvelle aube. Dans tous les cas, il y aura probablement, et malheureusement, d’autres attentats, d’autres morts et d’autres procès. Alors autant que ce soit pour redevenir ce peuple qui, il y a bien longtemps, inspira l’idée de liberté au monde, celle de l’acceptation de l’Autre. C’est notre rêve commun depuis trois cents ans et nous n’en avons pas de rechange. Il n’y a pas de salut dans la lâcheté. J’espère que nous ne serons pas la génération qui aura tourné le dos à son histoire et à son avenir. »

Le texte se termine par un éloquent hommage à Charb, qui « faisait partie de ces êtres qui laissent une trace éternelle chez ceux qu’il croise. »


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