« Ici, les femmes ne rêvent pas »

Rana Ahmad,
Éditions Globe, 2018

Recension par Pierre Thibault

J’ai lu « Ici, les femmes ne rêvent pas » — récit d’une évasion de Rana Ahmad aux éditions Globe (≈ 300 pages). C’est l’histoire autobiographique d’une jeune femme ayant vécue en Arabie Saoudite et qui, n’en pouvant plus, décide de fuir son pays. Je ne vais pas tellement parler du livre pour ne gâcher l’histoire si vous voulez le lire. Je vais davantage me concentrer à décrire la vie en Arabie Saoudite pour une femme.

Ce récit donne une très bonne perspective de ce qu’est être une femme dans un pays qui applique l’islam de façon littérale. Si les petites filles peuvent jouir de leur liberté et leur innocence, cette liberté ne dure pas. Dès le début de l’adolescence, et parfois plus tôt pour les familles plus conservatrices, les jeunes femmes apprennent à vivre cachées du regard des hommes. L’Arabie Saoudite applique une politique de ségrégation sexuelle complète. Les femmes, quand elles sont en public, doivent se cacher sous un voile intégral appelé niqab. Le niqab ressemble à une robe noire, il cache le corps de la femme en plus de dissimiler ses formes. Il ne laisse que paraître les yeux. Comme celui-ci couvre la bouche, il est plus difficile de parler et il rend la respiration pénible. De plus, comme il fait très chaud en Arabie Saoudite, cela rend le port du niqab d’autant plus contraignant.

La loi du pays ne permet pas aux hommes de voir le visage d’une femme qui ne leur soit pas apparentée. Une femme peut donc être à visage découvert devant son mari, son père, ses frères ou encore un oncle. Quand il y a des activités festives comme un mariage, les hommes et les femmes fêtent d’abord de façon séparée chacun de son côté. Par la suite, les femmes se voilent et les femmes et les hommes se réunissent dans un même salle pour célébrer l’union du mariage. Dans la salle, les hommes et les femmes sont séparés en deux groupes distincts. Lors d’une sortie au restaurant, les femmes peuvent avoir accès à une section séparée qui leur est dédiée et où elles peuvent se dévoiler sans qu’aucuns hommes ne puissent les voir. Ou encore on peut avoir accès à une section réservée à la famille où seuls des hommes apparentés peuvent être présents. Par contre, il n’y a pas de cinémas ou de discothèques en Arabie Saoudite parce que c’est interdit. En Islam, on emploie le terme haram pour dire que quelque chose est interdit. Il y a aussi une liste de livres qui sont interdits. On dit que de ces livres qu’ils sont à l’index. C’est la police religieuse qui veille à ce que ces us et coutumes soient en permanence respectés. Certains espaces sont cependant moins restrictifs tels les hôpitaux et les zones touristiques dédiées aux occidentaux. La police religieuse est très présente près de ces frontières pour s’assurer que la loi soit respectée.

De plus, les femmes ne voyagent pas librement. Elles ne sont jamais considérées adulte et elles ont besoin d’un tuteur pour les accompagner dans leurs déplacements. Ce tuteur peut être le père, un frère ou un chauffeur désigné pour les familles plus riches. C’est aussi le tuteur qui décide si elles peuvent ouvrir ou non un compte en banque ou divorcer. Les hommes peuvent divorcer librement, mais les femmes ne peuvent le faire sans l’accord de leur mari qui peut aussi avoir plusieurs femmes. Les femmes sont encouragées à rester à la maison. Si elles veulent étudier ou travailler, elles peuvent le faire avec l’accord de la famille, mais elles demeurent contraintes par les aléas de leurs chauffeurs ou tuteurs qui doivent sans cesse les emmener à destination pour plus tard les ramener de nouveau à la maison. Prendre rendez-vous pour se rencontrer et discuter entre amies est généralement un rêve irréalisable.

Même si une femme réussit à se plier à toutes ces contraintes, elle n’est jamais en sécurité pour autant. Toutes ces règles et cette façon de penser créent beaucoup de frustrations pour tous et dégénère en un environnement ou les tensions et même les violences peuvent être omniprésentes et ce, autant avant qu’après un mariage qui n’est souvent pas consensuel et avant d’être adulte. Il y a plusieurs éléments qui peuvent menacer l’intégrité physique des femmes. Il y a la police religieuse. Cette police est non seulement très stricte, mais elle n’est pas très honnête non plus. Elle invente facilement des histoires pour piéger une proie. Un homme a aussi le droit de frapper sa femme s’il soupçonne qu’elle pourrait le tromper. De plus selon le code de l’honneur où toute femme doit être parfaitement vertueuse, une femme peut très facilement se faire battre ou même se faire tuer par son père, ses frères, ses oncles pour des motifs très banaux — avoir parlé à un homme avec qui on n’aurait pas dû tel un collègue de travail au téléphone — pour la punir d’avoir apporté le déshonneur à sa famille. Finalement, le risque de se faire agresser sexuellement par ses proches est toujours présent. Et si cela se découvre, ce sera madame qui sera considérée comme ayant provoqué l’incident. Si un tel drame survient, une femme n’a personne à qui en parler. Le tabou est trop grand. Les jeunes femmes sont sexuellement ignares et ce tant au plan physique, psychologique, émotionnel et biologique. Quand on est une femme en Arabie Saoudite, on est essentiellement rien.

Si je reviens ou livre, il y a beaucoup de phrases fortes qui font réfléchir. J’aimerais en partager quelques unes au hasard :

  • « Car dans les familles profondément religieuses comme la mienne, femmes et hommes ne sont pas des amis : les premières dépendent de l’arbitraire des seconds. Or seules des personnes égales en droits peuvent être des amis. Et en Arabie Saoudite il n’existe pas d’égalité entre les sexes. »
  • « Dans le pays où j’ai grandi, son corps est quelque chose dont chaque femme a honte. Quelque chose que l’on n’a pas le droit de montrer en public, qui excite les hommes et ne cause que des ennuis. Depuis que j’ai franchi le cap de la puberté et que ma silhouette a perdu son aspect enfantin, je passe de nombreuses heures devant le miroir. J’inspecte mon corps avec un mélange de curiosité et de dégoût. Je me sens sale. »
  • « Tout ce qu’il y a de beau en nous, les femmes, est renversé en une marque de péché et de laideur. »

Il n’y pas que des choses difficiles dans cette histoire. Il y a aussi de bons moments et beaucoup d’espoir. Ça se lit comme un roman et ça permet de beaucoup mieux comprendre ce que peuvent les Saoudiennes. J’en recommande fortement la lecture.

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