Notre association Libres penseurs athées a soumis un mémoire dans le cadre des Consultations sur le programme d’études Éthique et culture religieuse. Sur cette page nous en présentons quelques extraits. Vous pouvez aussi consulter le mémoire au complet Une formation à l’esprit critique dans une école à valeurs citoyennes, un document de 16 pages en format PDF.
Une formation à l’esprit critique dans une école à valeurs citoyennes
Quelques extraits
Présentation de l’association Libres penseurs athées
Qui nous sommes
Libres penseurs athées – Atheist Freethinkers (LPA-AFT) est une association de défense des droits des athées qui prône le matérialisme philosophique, la pensée critique et la laïcité. […]
Nous rejetons en particulier la prétention des religions qui se considèrent comme étant les seules autorités compétentes en matière de morale.
La nécessité de séparer la morale des religions a été constatée il y a deux millénaires et demi, à l’époque de Platon, dans son dialogue Euthyphron, dans lequel, par le biais de propos attribués à Socrate, la futilité de fonder la morale sur la volonté des dieux a été soulevée.
Au 17e siècle, Pierre Bayle, philosophe et écrivain français, refusant de se conformer à la bien-pensance de son époque, et même au péril de sa vie, a eu le courage d’écrire que « L’athéisme ne conduit pas nécessairement à la corruption des mœurs. » Quelques décennies plus tard, un inconnu curé de province, Jean Meslier, meurt, mais laisse en héritage une importante œuvre, qui le rend posthumement célèbre, qui affirme son athéisme et qui dénonce la supercherie de la religion et surtout la fondamentale immoralité de celle-ci.
La morale et l’éthique sont éminemment humaines et trouvent leurs origines dans l’évolution biologique et culturelle. Les systèmes de « morale » prônés par les divers théismes et surtout par les monothéismes ne sont que des variantes corrompues de ce patrimoine évolutionnaire de l’humanité, les monothéismes comme les trois religions abrahamiques étant le modèle même du totalitarisme. D’ailleurs, les livres dits « sacrés » des monothéismes abrahamiques endossent le viol, la torture, l’esclavage, les tueries, la violence sous toutes ses formes, et ne constituent pas, de ce fait, de bons modèles de morale ou d’éthique.
Notre point de vue des religions
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Nous ne respectons pas les croyances religieuses. Par contre, nous respectons les croyants, c’est-à-dire que nous respectons leur liberté de pratiquer la religion de leur choix. Nous respectons aussi la liberté de chaque croyant et de chaque croyante d’apostasier, c’est-à-dire de quitter sa religion pour en choisir une autre ou pour n’en avoir aucune. Le droit d’apostasie est un droit humain qui est bafoué dans beaucoup de pays à travers le monde. Ce sont donc les êtres humains qu’il faut respecter en respectant leur droits. Mais les croyances, comme toute autre idée ou toute autre idéologie, ne méritent d’emblée aucun respect. Au contraire, toute croyance, toute idée ou toute idéologie doit être évaluée, examinée, mise en doute, afin de déterminer sa valeur, sa vérité ou sa fausseté.
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Contre les accommodements religieux
Nous nous opposons à l’habitude, très à la mode au Québec et au Canada actuellement, d’accorder à la liberté de religion une priorité exagérée en faisant des accommodements religieux. Nous nous opposons à tout accommodement qui ne soit pas motivé par des besoins réels et objectifs – le handicap physique, le genre, une question d’hygiène ou de santé, etc. –, tandis que les motifs purement religieux ne sont jamais véritables. […]
Nous sommes d’avis que la religion est une affaire de la vie privée. Les manifestations ostentatoires d’appartenance religieuse peuvent être tolérés en public, mais seulement en dehors des institutions civiques. Nous nous opposons donc à l’affichage de signes religieux dans la fonction publique, qu’ils soient affichés dans les lieux physiques ou portés par les fonctionnaires au travail.
La religion est une affaire d’adultes
[…] imposer une religion à un enfant, endoctriner cet enfant dans une religion, est inacceptable, c’est une forme d’abus. Les enfants doivent être libres de tout signe religieux à l’école. Leur en faire porter doit être vu comme une forme de cet abus.
Pourquoi nous prônons la laïcité
Nous comprenons alors le danger que représentent les religions lorsque celles-ci obtiennent un pouvoir politique. Nous voulons protéger la liberté de conscience – la nôtre et celle des croyants aussi. C’est pour ces raisons que nous prônons la laïcité. Cette laïcité est bien plus que la neutralité religieuse. Nous exigeons que l’État soit indépendant des religions et autonome par rapport aux religions. Cet État doit bien sûr rester neutre quant aux différentes religions afin de n’en favoriser aucune. Mais quant au choix entre la religion et l’irréligion, l’État laïque rejette toute ingérence religieuse dans ses institutions.
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Les athées et l’athéophobie
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Les athées en particulier sont les cibles d’un vieux préjugé religieux, l’athéophobie, selon lequel les athées seraient dépourvus de morale. Ce préjugé est fondé sur les vieilles mythologies théistes selon lesquelles toute morale provient des dieux et, par conséquent, celui qui ne croit pas en « Dieu » doit forcément être immoral ou amoral. De telles superstitions ne sont pas acceptables, mais elles perdurent, nourries par des autorités religieuses, par intérêt. […]
Les droits de l’enfant
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Si nous suivons la haute exigence moderne et récente de la protection que nous accordons à nos enfants et à nos compatriotes encore enfants, le viol de la liberté de conscience en formation par un endoctrinement religieux relève de la maltraitance. Ainsi, la liberté des parents d’endoctriner leurs enfants dans une religion doit être balisée, à défaut d’être interdite. La sagesse de la modération en ce domaine serait d’exiger des parents qu’ils n’inculquent pas à leurs enfants des valeurs religieuses incompatibles avec celles de la société moderne où les enfants évoluent déjà à l’école ou ailleurs dans la société.
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La nécessité d’une refonte du programme ÉCR
Le ministre de l’Éducation et de l’enseignement supérieur a récemment annoncé que le programme ÉCR « sera révisé au cours des prochaines années. […] »
Nous, Libres penseurs athées, accueillons cette annonce avec enthousiasme et optimisme. Le programme ÉCR, du moins son volet « culture religieuse », a été mal conçu depuis ses débuts. Même bien avant son implantation dans les écoles québécoise en 2008, et avant la fondation de notre association LPA, des critiques sérieuses du programme ÉCR se faisaient entendre, venant principalement des milieux laïques.
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Pour résumer, la programme ÉCR ne forme pas l’esprit critique des élèves et il ne leur permet pas, surtout aux plus jeunes, de faire la distinction capitale entre un fait et une croyance, entre un événement historique et un mythe. Il néglige presque complètement l’athéisme et les autres formes d’incroyance, tandis qu’il glorifie la pensée religieuse, comme si la religion était une nécessité. En jumelant « culture religieuse » avec « éthique », comme si cette dernière dépendait nécessairement de la religion, le programme ÉCR fait un amalgame inadmissible. Étant obligatoire à presque tous les niveaux primaires et secondaires, il occupe ainsi trop de place dans l’horaire. Finalement, ÉCR maintient l’enseignement religieux à l’école, la principale différence étant que l’ancien enseignement était confessionnel tandis que le nouveau est multiconfessionnel.
La décision de la Cour suprême du Canada, 2015-04-15
Le 15 avril 2015, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans le cas MLQ versus Ville de Saguenay, interdisant la pratique de la prière lors des réunions du conseil municipal de cette ville et donnant raison au plaignant, le MLQ. Cette décision est d’une importance capitale pour la laïcité au Canada car ses implications débordent le seul cadre des séances municipales. […]
[…] ÉCR est incompatible avec le principe de neutralité religieuse de l’État tel qu’énoncé par cette décision de la Cour suprême du Canada.
L’éthique est indépendante de la religion
Nous insistons sur l’incompatibilité entre l’éthique et la religion, en particulier les religions monothéistes comme les abrahamiques : le judaïsme, le christianisme et l’islam (pour les nommer en ordre historique). Toute religion a le défaut de prôner des croyances infondées en des phénomènes surnaturels hypothétiques, des croyances incompatibles avec nos connaissances scientifiques et qui éloignent le croyant du monde réel dans lequel il vit. D’ailleurs, sur la notion de l’éthique vue sous l’angle de la responsabilité sociale, l’équité et la transparence, les religions sont les plus mal placées, de par leurs écrits et l’histoire, pour en faire la promotion.
Chaque religion monothéiste a la prétention de posséder une expertise exclusive en matière de morale, mais cette prétention est complètement infondée. Au lieu d’une expertise, il s’agit plutôt d’une incompétence totale.
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Les prétentions des religions de détenir une expertise particulière en éthique sont complètement infondées. Le domaine de la morale et de l’éthique appartient davantage à la science qu’aux religions, tout comme pour la santé ou la psychologie. Bien que la morale puisse dépasser le seul domaine scientifique, elle doit trouver ses assises dans le monde réel et rester compatible avec nos connaissances scientifiques. Les religions, par contre, nous en éloignent.
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Programme ÉCR : Des erreurs à ne pas répéter
Un des principaux défauts du programme ÉCR est qu’il privilégie les religions mais ignore presque complètement les incroyances comme l’athéisme. Il ne faut pas que le nouveau cours répète la même erreur. Nous ne demandons pas que l’école publique enseigne l’athéisme mais, si elle en venait à enseigner les religions, chose à laquelle nous nous opposons, il faudrait aussi traiter de l’athéisme.
Mais la bonne solution, c’est de ne pas traiter des religions – seulement des aspects factuels comme le développement historique de celles-ci. Mais le programme ÉCR n’est même pas la place pour cela. L’étude des religions, s’il y en a, devrait se faire principalement dans des cours d’histoire. De plus, il faut qu’il y ait transparence quant aux méfaits qui ont très souvent marqué l’histoire des religions. L’initiation à une possible histoire des religions ne pourra se faire qu’au niveau secondaire dans le contexte d’une histoire générale des civilisations.
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Initiation à la laïcité
Nous proposons que le nouveau programme qui remplacera ÉCR comporte un volet « initiation à la laïcité » afin de familiariser les élèves à cet important aspect de la société québécoise. Ce volet expliquerait les quatre principes essentiels de la laïcité (égalité, liberté de conscience, neutralité religieuse et séparation religions-État). Il expliquerait aussi que cette séparation est nécessaire afin de protéger les citoyennes et les citoyens contre les prétentions politiques des religions. Au fait, la plus grande menace pour la liberté de conscience, qui inclut la liberté de religion, provient des religions elles-mêmes.
Voici quelques points dont ce volet doit traiter :
- La définition formelle de la laïcité, avec ses quatre principes : (1) l’égalité de tous et de toutes; (2) la liberté de conscience; (3) la neutralité religieuse de l’État et (4) la séparation entre l’État et les religions.
- L’importance de la liberté de s’affranchir de la religion – y compris le droit d’apostasier – qui doit être incluse toujours lorsque l’on invoque la liberté de religion. Ces deux libertés – de religion et de s’en affranchir – sont toutes les deux comprises dans le point (2) liberté de conscience.
- La neutralité religieuse de l’État laïque, le point (3), doit inclure la neutralité entre les croyants et les incroyants, et non seulement la neutralité entre les diverses religions.
- L’importance primordiale d’écarter de l’État (soit le point (4) séparation) toute règle et toute pratique religieuse, sans pour autant y exclure les croyants.
- Les trois espaces : privé, public et civique, la laïcité s’appliquant surtout au dernier de ces trois.
- L’État laïque n’est pas responsable des croyances et pratiques religieuses. Les croyant(e)s doivent en assumer l’entière responsabilité. […]
- Si des « lois » ou des « obligations » religieuses se trouvent incompatibles avec les lois démocratiquement adoptées de l’État laïque, ce sont toujours ces dernières qui ont préséance.
- […]
- Les droits et libertés ne sont pas en général absolus. La liberté des uns se termine, ou se limite, là où elle rencontre la liberté des autres. […]
Recommandations
Nous résumons ici nos principales recommandations pour le programme qui remplacera le programme ÉCR :
- Que le volet « culture religieuse » soit complètement supprimé du programme. Le nouveau programme ne devrait avoir aucun contenu religieux, sauf indirectement par le biais du nouveau volet « laïcité ».
- Qu’un cursus de philosophie pour enfants soit intégré au volet « éthique » du programme.
- Qu’un nouveau volet « laïcité » soit ajouté au programme.
- Qu’un nouveau volet « civisme et citoyenneté » soit ajouté au programme, ou que ces sujets soit intégrés au volet « éthique ».
- Que le volet « éthique » du nouveau programme inclue une reconnaissance de l’appartenance de l’humain au monde animal, ainsi que de l’apparition de comportements éthiques chez d’autres espèces animales.
Nous faisons aussi la recommandation suivante qui n’est pas directement liée au programme ÉCR mais qui est le produit des mêmes préoccupations qui ont motivé les recommandations ci-dessus :
- Le port de signes religieux doit être interdit à tout le personnel de l’école ainsi qu’aux élèves dans les écoles publiques durant toute la journée scolaire. Cette interdiction s’ajouterait à la règle qui touche déjà les enseignants et les directeurs en vertu de la Loi sur la laïcité de l’État.
Excellent texte, envers lequel je n’éprouve qu’une seule réserve.
En ne perdant pas de vue que le contenu de la Charte des droits québécoise ne constitue pas une Vérité immanente, mais le reflet du choix démocratique d’une majorité de citoyens (et donc, qu’en dépit de toutes les contorsions mentales qu’on voudra, ce document, comme tous les autres votés à l’Assemblée nationale, reflète que la démocratie demeure ultimement la dictature de la majorité, même si le concept peut offusquer);
en considérant que tous les droits affirmés dans cette Charte, à l’exception d’un seul, reposent sur le principe moral rationnalisé que tous les humains doivent être traités d’une façon égalitaire en dépit des abyssales inégalités qui existent de facto entre eux;
en constatant cette évidence que la protection juridique qui est actuellement dévolue à la PRATIQUE religieuse ne tient malheureusement pas compte du fait que nombre de ces pratiques reposent, non seulement sur des présupposés jamais prouvés, mais également sur des principes qui viennent en contradiction avec ceux sur lesquels l’ensemble des autres droits ont été inclus dans la Charte;
il me semble légitime, et même essentiel, qu’une organisation athée défendent l’idée que la protection juridique en question soit explicitement rédigée de telle sorte que son application soit entièrement soumise à la prévalence de tous les autres droits.
En ce sens, mentionner simplement que “la liberté des uns se termine, ou se limite, là où elle rencontre la liberté des autres. Il est souvent nécessaire de chercher un compromis, un équilibre, entre deux libertés mutuellement incompatibles” ne me semble pas suffisant, car cela ouvre la porte (comme on peut l’observer règulièrement) à l’établissement de compromis édictés par des juges non-élus.
Ce mémoire n’est pas un document légal et ne s’adresse aux tribunaux. Alors, je ne vois pas de quoi tu te plains. De plus, si on s’adressait aux tribunaux, à propos de la Loi 21 par exemple, on donnerait une application très concrète du principe « la liberté des uns se termine, ou se limite, là où elle rencontre la liberté des autres » : la liberté des enseignant(e)s de porter des signes religieux est restreinte par le droit des élèves à une éducation sans endoctrinement.
De plus, je vois mal comment on peux prétendre que “tous les droits affirmés dans cette Charte [québécoise], à l’exception d’un seul, reposent sur le principe moral rationnalisé que tous les humains doivent être traités d’une façon égalitaire”. Quelle est cette exception et en quoi déroge-t-elle au principe du traitement égalitaire ? Ce n’est vraiment pas clair.