La conférence présentée au VIIe Congrès AILP qui a eu lieu à Paris les 21-24 septembre 2017.
David Rand, président, Libres penseurs athées – Atheist Freethinkers
2017-09-29
Le Canada n’est pas un pays laïque. La constitution et les lois du pays comportent toujours beaucoup d’ingérence religieuse. Toutefois, la population n’est pas très croyante. Les sans-religion et les croyants non-pratiquants sont de plus en plus nombreux. Mais la laïcisation des institutions publiques est grandement compromise par deux faits incontournables :
Premièrement, le multiculturalisme, c’est-à-dire le communautarisme, est l’idéologie officielle du gouvernement fédéral. Cette politique, que l’on confond souvent avec la simple diversité culturelle, mais qui ressemble davantage au relativisme culturel, a comme conséquence que l’identité ethnoreligieuse de chaque individu devient plus importante que sa citoyenneté, surtout pour les minorités. Cette idéologie est une vache sacrée au Canada, véhiculée comme une solution au racisme mais qui a plutôt l’effet inverse de créer des divisions.
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David Rand au pupitre
Deuxièmement, les « deux solitudes » canadiennes, c’est-à-dire l’importante rupture entre les deux groupes linguistiques, les francophones, majoritaires au Québec seulement, et les anglophones, majoritaires partout ailleurs. Dans la mesure où la laïcité obtient de l’appui au Canada, le type de laïcité est très différent dans ces deux groupes. Au Québec c’est la laïcité républicaine (ou laïcité tout court) de tradition française qui est préférée, tandis que dans le reste du Canada c’est le sécularisme lockien (c.f. John Locke) de tradition anglaise, une forme tronquée et incomplète de laïcité où il n’y a pas de séparation entre État et religions, et la neutralité de l’État est interprétée comme une égalité entre les diverses religions concurrentes, non pas l’égalité entre religion et irréligion. La primauté dont jouit le sécularisme de type anglais limite sérieusement tout mouvement de laïcisation.
Il y a plusieurs cas de privilèges religieux dans la législation canadienne fédérale :
- Le préambule de la constitution de 1982 débute par la reconnaissance de « la suprématie de Dieu ». Toutefois, une importante décision de la Cour suprême du Canada du 15 avril 2015, celle qui interdit la prière lors des conseils municipaux, a circonscrit la portée de cette mention en reconnaissant que la liberté de croyance doit inclure implicitement la liberté d’incroyance et en stipulant que l’État et ses agents doivent agir avec neutralité religieuse.
- Dans le Code criminel, l’article 296 criminalise le soi-disant « Libelle blasphématoire ». Toutefois, à la suite d’une pétition appuyée par plusieurs associations humanistes et sécularistes et soumise au Parlement, cette disposition doit disparaître bientôt car un projet de loi doit l’abroger.
- Également dans le Code criminel, la loi contre la « Propagande haineuse », comporte une exception religieuse qui accorde l’impunité à quiconque a « exprimé une opinion sur un sujet religieux ou une opinion fondée sur un texte religieux auquel il croit ».
- Il existe une « Loi sur le multiculturalisme canadien » qui favorise les diverses langues, religions et pratiques culturelles particulières, au détriment de valeurs civiques partagées.
- Enfin, un règlement sur la citoyenneté stipule que les juges doivent accorder « la plus grande liberté possible pour ce qui est de la profession de foi religieuse » lors de l’assermentation à la citoyenneté.
Toutes ces dispositions constituent des privilèges accordés aux religions et aux croyants, au détriment des incroyants. Et je n’ai même pas parlé des avantages fiscaux accordés aux organisations religieuses.
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D. Silverman, E. Laxalte, D. Rand
Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a l’habitude de fréquenter des lieux de culte comme des mosquées et des temples sikhs, parfois enfilant un costume de la religion du lieu, évidemment dans un but clientéliste. Cette pratique hautement antilaïque est considérée par les tenants du multiculturalisme comme la preuve de sa bonté et de son ouverture à la sacro-sainte « diversité ». Récemment, un chef religieux de la secte musulmane ahmadie a visité le Canada. Les autorités canadiennes ont permis – à lui et à ses coreligionnaires – de faire une séance de prière à l’intérieur même du parlement canadien !
Au Québec, les choses se passent un peu différemment, mais les forces du communautarisme exercent une pression énorme dans le but d’étouffer cette particularité québécoise. Vous connaissez sûrement l’histoire de la Charte, proposée en 2013 par le gouvernement de l’époque, qui aurait établi la laïcité formelle de l’État québécois. Cette charte a rencontré une opposition féroce, surtout des islamistes et des multiculturalistes, qui étaient des alliés objectifs. C’est surtout la prohibition des signes religieux portés par des fonctionnaires qui a rencontré la plus forte résistance. Au Québec la presque totalité des groupes laïques (y compris notre association LPA) ont appuyé cette Charte tandis que, en dehors du Québec, la plupart des gens prétendument laïques s’y opposaient (mais heureusement pas tous).
La Charte de la laïcité est morte lorsque ce gouvernement a été défait en avril 2014, mais la population québécoise demeure fortement favorable à la laïcité. Le nouveau gouvernement alors élu et toujours au pouvoir est celui du Parti libéral du Québec, un parti de droite, malgré son nom, qui prône l’austérité économique et qui s’oppose à la laïcité avec acharnement. Le chef de ce parti, le premier ministre Philippe Couillard, a même déclaré que l’intégrisme est une affaire privée et ne nuit à personne (bien que, plus récemment, il ait aussi déclaré que les musulmans ont la responsabilité de dénoncer la soi-disant « perversion » de l’islam qui motive des atrocités terroristes islamistes).
Récemment, à la suite d’une plainte formulée par un patient, un hôpital de la ville de Québec a retiré un crucifix, évoquant le principe de neutralité religieuse. Mais cette décision a déclenché un tollé de protestations, incluant une pétition de plus de 13 mille signataires, et par conséquent l’hôpital est revenu sur sa décision et réinstallé le crucifix, évoquant cette fois le caractère patrimonial et historique de l’objet. L’on constate ici une expression de communautarisme au sein de la majorité catholique québécoise (bien que la plupart soient non-pratiquants), sans doute en réaction aux succès des islamistes et leurs dupes.
Ce gouvernement a proposé un projet de loi 62 qui prétend instaurer une certaine « neutralité religieuse de l’État », interdire les couvre-visage dans la fonction publique et encadrer les « accommodements religieux ». Mais cet encadrement est tellement flou et vague que, en fin de compte, à peu près tout signe religieux est permis, y compris le voile intégral. Cette loi sera fort probablement adoptée avant les prochaines élections. Nous, de l’association Libres penseurs athées, comme plusieurs autres associations pro-laïques, avons présenté un mémoire à la Commission parlementaire chargée d’étudier ce projet de loi.
Au Canada la liberté d’expression est menacée par trois motions parlementaires condamnant la soi-disant « islamophobie », un terme qui fait le bonheur des islamistes en stigmatisant la critique de l’islam. La plus récente de ces motions est la M-103, adoptée le 23 mars 2017 par le Parlement canadien, dont un des buts principaux est de « condamner l’islamophobie et toutes les formes de racisme… ». On constate la confusion volontaire entre religion et race, pourtant deux attributs complètement différents l’un de l’autre, la religion étant une caractéristique acquise, comme une opinion politique, tandis que la soi-disant « race » se base sur des attributs innés héréditaires. Cette confusion facilite la diffamation des critiques de l’islam par de fausses accusations de racisme.
Heureusement la Motion M-103 n’a pas force de loi, mais elle représente tout de même une étape vers l’adoption éventuelle d’un nouveau délit de blasphème qui, lui, risque d’être pire que l’article 296 (bientôt abrogé) car il privilégierait une religion en particulier, l’islam, au détriment des autres, suscitant ainsi des conflits interreligieux.
Parmi les dégâts causés par le multiculturalisme canadien, sans doute le plus célèbre est la triste victoire de Zunera Ishaq, une fanatique islamiste qui a gagné, devant la Cour fédérale, le « droit » de porter le niqab lors de la cérémonie de citoyenneté, grâce à la Loi sur le multiculturalisme canadien et le Règlement sur la citoyenneté déjà mentionnés.
Vous savez sans doute que l’apostasie est fortement réprimée et criminalisée en islam, parfois punie par la peine de mort. C’est une négation absolue de la liberté de conscience. Le communautarisme, qui étiquette chacun et chacune du sceau de son origine ethnoreligieuse, est comme la version légère de cette répression, une petite négation de la liberté de conscience, refusant de reconnaître l’individu indépendamment de cette origine. C’est une attitude qui ne peut que favoriser les plus pieux et les plus intégristes des porte-parole religieux.
Pour conclure, je voudrais revenir sur la différence capitale entre la laïcité républicaine et le sécularisme lockien. Seul ce dernier peut être compatible avec le communautarisme.
Or, l’histoire du multiculturalisme canadien est révélatrice. En 1963, le premier ministre Pearson – prédécesseur de Pierre-Elliott Trudeau, père du premier ministre actuel – a établi une « Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme » dont les recommandations devaient guider les politiques linguistiques du gouvernement fédéral pour les décennies à venir. Mais quelques années plus tard, le principe de « biculturalisme », faisant référence aux cultures anglaise et française, a commencé à céder la place au concept de multiculturalisme qui accordait un certain statut à une diversité de cultures, y compris celles issues de l’immigration. Le résultat, à long terme, était que l’anglais gagnait en importance tandis que le français en perdait, reléguée peu à peu à un statut à peine différent des autres langues minoritaires.
David Rand au pupitre
L’ironie, c’est que le soi-disant multiculturalisme canadien est une monoculture : c’est la domination de la culture anglo-canadienne sur toutes les autres. Et avec la perte de vitesse du français au Canada est venu aussi la dévalorisation – et parfois même le dénigrement – de certains aspects de sa culture, en particulier la laïcité de tradition française. De plus, le développement d’un mouvement prônant l’indépendance du Québec a suscité une vague de peur et d’animosité de la part des Canadiens hors-Québec, tandis que le multiculturalisme est pour beaucoup d’anglo-canadiens une fierté. Ces deux facteurs attisent évidemment ce différend entre les deux groupes. La laïcité est de plus en plus discréditée, vilipendée, associée à la xénophobie et à l’intolérance.
Chez les partisans du multiculturalisme, le dénigrement de la laïcité, et de ceux et celles qui la prônent, est de rigueur. Justin Trudeau compare les pro-Charte de la laïcité aux pro-Trump. Lui et bien d’autres prétendent que le débat public autour de cette Charte ait été une cause de la tuerie à la mosquée de Québec en janvier 2017. Cela fait que les pro-laïques sont accusés d’être presque complices du massacre ! De plus, les gens qui critiquent la motion M-103 sont accusés d’être de droite ou même d’extrême-droite.
La situation n’est pas très reluisante. Je suis très pessimiste en ce qui concerne le proche avenir. Toutefois, la population québécoise demeure fortement acquise au principe de la laïcité. Partout au Canada, et surtout au Québec, la méfiance à l’égard des religions monte. Le retour du religieux et la violence religieuse auxquels nous assistons actuellement ne sont peut-être que le râle de mort des religions au moment où la vacuité et le danger de celles-ci deviennent de plus en plus évidents et que les ex-croyants se multiplient.
Très bon texte. Il me semble que rien n’est oublié.
Excellent et clair exposé du problème. L’évocation de J. Locke est éclairante.
J’ai constaté moi-même ce retour en force du religieux avec l’infantilisme qui l’accompagne. Cela sur ma page facebook! Mes amis catholiques sont les plus agressifs. Ils publient des images religieuses comme celles que les prêtres donnaient aux enfants il y a bien des décennies. Sur ma page, il n’y a pas d’abus de la part des Musulmanes. Il faut dire que mes amis sont presque toutes des amies. Celles et ceux qui publient des images pieuses et des prières se terminant par des Amens sont surtout des personnes québécoises et sud-américaines. J’ai eu beau demander qu’on reste neutre en matière de religion. Rien n’y fait! Je m’abstiens moi-même de publier des articles athées sur ma page et je trouve très pénible que ces personnes peu délicates ne craignent pas d’offenser celles et ceux qui ne partagent pas leur naiveté. C’est pourquuoi, je me sens isolé et j’ai fait la recherche sur Google : « Je cherche des athées québécois, canadiens et américains, qui m’a permis de vous trouver.
Merci pour cet excellent article ! Trudeau jour un rôle dangereux dans un Canada qui n’aurait pas dû devenir multiculturaliste; il portera une grande responsablilité dans l’avenir du pays. Les luttes contre l’obscurantisme seront hardues. En France, on a mis un pied dans le communautarisme qui est principalement porté par certaines associations puissantes ou partis (parti des indigènes de la république, PIR, par exemple, ou les sectes Steiner (auxquelles appartiennent des membres du gouvernement) mais l’ensemble de la classe politique laisse faire… Merci pour votre combat.