David Rand
Ceci est le premier de trois blogues par trois auteurs différents mais sur un sujet commun : la décision de la Cour suprême du Canada du 15 avril 2015. Les deux autres sont le Blogue 55 de Marco DeRossi et le Blogue 56 de Jacques Savard.
Voir aussi la Déclaration d’associations laïques québécoises et canadiennes à propos de la décision du 15 avril 2015 de la Cour suprême du Canada.
Enfin une excellente nouvelle et une grande victoire pour la laïcité : la Cour suprême du Canada vient de rendre son jugement dans l’affaire de la prière dans les réunions du conseil municipal de la ville de Saguenay et elle donne entièrement raison — et ce, à l’unanimité — au plaignant, c’est-à-dire à Alain Simoneau soutenu par le Mouvement laïque québécois. Rappelons que ce dernier avait gagné devant le Tribunal des droits de la personne en 2011 mais que cette décision avait été renversée par celle de la Cour d’appel du Québec qui a statué en 2013 en faveur du maire Jean Tremblay qui voulait maintenir la prière au début de chaque réunion du conseil. C’est la toute récente décision de la Cour suprême qui casse celle de la Cour d’appel et rétablit ainsi la victoire du plaignant.
Nous félicitons le MLQ, Monsieur Simoneau et toutes les associations et personnes qui les ont soutenus pour cette importante victoire, qui fait déjà jurisprudence. Nous saluons en particulier l’avocat Luc Alarie qui a défendu cette cause devant les trois tribunaux.
Selon la Cour suprême,
La prière récitée par le conseil municipal en violation du devoir de neutralité de l’État engendre une distinction, exclusion et préférence fondée sur la religion, soit l’athéisme sincère de [Alain Simoneau], qui, conjuguée aux circonstances entourant sa récitation, fait des séances un espace préférentiel favorisant les croyants théistes. Ces derniers peuvent participer à la démocratie municipale dans un environnement favorable à l’expression de leurs croyances, alors que si les incroyants peuvent eux aussi participer, c’est au prix de l’isolement, de l’exclusion et de la stigmatisation. Cela compromet le droit de [Alain Simoneau] à l’exercice de sa liberté de conscience et de religion.
Dans son jugement la Cour suprême déclare que la prière au début des séances du conseil municipal de Saguenay constitue « une pratique religieuse. Même si on la qualifiait d’inclusive, elle risque néanmoins d’exclure les incroyants. » D’ailleurs, la reconnaissance de « la suprématie de Dieu » dans le préambule de la constitution canadienne de 1982 « ne saurait entraîner une interprétation de la liberté de conscience et de religion qui autoriserait l’État à professer sciemment une foi théiste. » Le jugement a établi de manière indubitable que la neutralité religieuse de l’État est une obligation et sa conception de cette neutralité place la croyance et l’incroyance sur un pied d’égalité.
De plus, la Cour suprême rétablit aussi le témoignage de l’anthropologue Daniel Baril qui avait été écarté par la Cour d’appel sous prétexte que son militantisme en faveur de la laïcité et ses liens d’avec le MLQ mettraient en doute son objectivité : la Cour suprême rejette catégoriquement cet argument.
Par la même occasion, la Cour a décidé de ne pas se prononcer sur la question des symboles religieux dans les salles du conseil municipal, jugeant qu’elle n’avait pas compétence pour le faire. Toutefois, cela n’implique pas qu’elle ferait obstacle à toute interdiction des signes religieux. Au fait, son interprétation de la liberté de conscience et de la neutralité de l’État demeure compatible avec la possibilité d’interdire le port de tels signes par les représentants de l’État, sans les interdire aux utilisateurs des services publics.
En tout, cette affaire aurait duré presque 9 ans. Le maire Tremblay a engagé des fonds publics pour défendre avec acharnement sa cause, malgré sa promesse de ne pas le faire. Il doit maintenant payer au plaignant plus de 30 000 $, incluant des dommages compensatoires et punitifs, tel que le premier Tribunal avait ordonné.
La décision de la Cour suprême du Canada représente une victoire pour les droits des athées et des autres incroyants, certes, car elle reconnaît clairement que la liberté de croyance doit comprendre la liberté d’incroyance. Mais cela représente aussi une victoire pour la liberté de conscience de tous, y compris celle des croyants, car elle met fin à l’imposition d’une cérémonie religieuse dans une institution publique, une cérémonie à la fois inutile et déplacée dans un tel contexte, une imposition qui ne peut se justifier, peu importe la religion ou absence de religion de chaque assistant.
Déjà les effets de cet important jugement commencent à se manifester. Les maires de Lévis et de Louiseville ont indiqué leur intention d’abandonner la prière. À Montréal, le conseil de l’arrondissment Pierrefonds-Roxboro y réfléchi. Le maire d’Ottawa a annoncé que la pratique de la prière sera réévaluée. La décision de la Cour suprême aura des conséquences dans tout le Canada. On ne peut que s’en réjouir. Même si la Cour a réduit à néant toute portée juridique du préambule de la constitution affirmant « la suprématie de Dieu », nous continuons de réclamer le retrait de cette affirmation qui entre en contradiction avec l’esprit et la lettre du jugement ainsi qu’avec la notion des droits fondamentaux. D’ailleurs, le principe de neutralité religieuse de l’État sur lequel les juges ont insisté risque d’avoir des conséquences positives pour la laïcité bien au delà de la seule question des prières.
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