Blogue 117 : L’énorme mensonge de l’Association canadienne des libertés civiles et de l’Association du Barreau canadien

David Rand

2020-02-26

Tout le monde sait que l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) s’est jointe au Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) pour contester la Loi 21 (Loi sur la laïcité de l’État) devant les tribunaux. Or, étant donné que cette Loi 21 instaure (partiellement du moins) la laïcité au Québec et étend ainsi les libertés civiles en stipulant que « toute personne ait droit à des institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires laïques ainsi qu’à des services publics laïques », il y a lieu de se demander la raison pour laquelle une association qui prétend prôner les libertés civiles oserait s’opposer cette loi.

Afin de répondre à cette interrogation, j’ai récemment visité le site web de l’ACLC où, sur la page qui présente les détails de cette intervention légale, j’ai trouvé l’assertion suivante :

“Bill 21, of course, is the law that will ban Jews, Muslims, Sikhs and others who wear symbols of their faith from pursuing careers in numerous public sector jobs.”

ou, en français :

« La Loi 21, c’est bien entendu la loi qui empêchera aux Juifs, aux Musulmans, aux Sikhs et à d’autres qui portent des signes de leur foi, de poursuivre une carrière dans de nombreux postes de la fonction publique. »

Eh bien, cette assertion est fausse. La Loi 21 n’empêche personne de travailler dans la fonction publique. Elle dit tout simplement que, dans certains emplois, l’employé ou l’employée doit s’abstenir de porter de signes religieux durant ses heures de travail. Si l’employé(e) en porte un en dehors de son travail, il ou elle n’a qu’à l’enlever au travail, quitte à le remettre en quittant le travail. Il s’agit de respecter la neutralité religieuse de l’emploi qu’occupe le fonctionnaire.

Mais selon la déclaration de l’ACLC, les gens qui portent des signes religieux sont exclus de ces emplois. C’est carrément faux. Ces gens peuvent très bien poursuivent une carrière comme fonctionnaire. La Loi 21 ne leurs en empêche pas. Il suffit qu’ils respectent les conditions de l’emploi, y compris l’éthique professionnelle.

Comment expliquer cette dissonance ? Serait-il impossible d’enlever un signe religieux ? Ce signe serait-il soudé au corps de la personne porteuse ? Cette dernière couche-t-elle en portant ce signe ? Prend-elle sa douche ou son bain en portant toujours ce signe religieux ? Une intervention chirurgicale serait-elle nécessaire afin de séparer le signe de la personne qui le porte ? C’est quand-même très bizarre cette prétention que des personnes soient exclues des emplois auxquels s’applique la Loi 21.

Dans le titre du présent billet de blogue j’ai utilisé de terme « mensonge ». Je constate donc que l’ACLC ment. Mais ai-je tort ? Est-ce possible qu’elle ne mente pas, que les gens de l’ACLC soient si abrutis qu’ils ne voient pas leur erreur ? Non, je ne crois pas. Il me semble plutôt que leur assertion est le résultat d’une supposition tellement saugrenue qu’ils n’osent pas l’exprimer ouvertement : il suppose que l’affiliation religieuse de l’individu serait d’une importance si primordiale, si essentielle à la personne porteuse, qu’enlever le signe, même pour quelques heures par jour pour des raisons d’éthique professionnelle, serait une horrible atteinte à leur… à leur quoi ? À leur intimité ? Je ne sais pas trop.

Mais cela implique que l’ACLC accorde à la religion un énorme privilège, le privilège d’avoir une importance qui surpasse même les devoirs d’un fonctionnaire durant ces heures de travail, un privilège accordant à cette religion la préséance même sur les lois démocratiquement adoptées de l’État. Par cette logique, ou plutôt illogique, si un Pastafarien était engagé comme fonctionnaire, il faudrait qu’il puisse porter une passoire sur la tête, même au travail. C’est franchement loufoque.

Et maintenant, nous venons d’apprendre que l’Association du Barreau canadien (ABC) vient d’adopter une politique semblable. Cette association, réunie au Château Laurier à Ottawa, a adopté une résolution qui dénonce « toute politique gouvernementale qui nie l’égalité des chances au sein de la profession juridique ou la possibilité de faire partie de celle-ci au motif des croyances religieuses » et cette résolution vise en particulier la Loi 21.

Le Barreau canadien fait donc précisément la même erreur — ou le même mensonge, selon votre façon d’interpréter leur résolution bizarre — en imputant à cette Loi 21 une action néfaste que cette dernière ne fait absolument pas. Et l’ACLC et l’ABC prétendent que la Loi 21 pratique une discrimination contre les personnes ayant certaines croyances religieuses, ce qui est tout à fait faux. Au contraire, la Loi 21 enlève un privilège religieux en exigeant que tout(e) fonctionnaire, peu importe sa religion ou irréligion, se présente au travail sous un aspect religieusement neutre — tout comme la Loi sur la fonction publique lui exige la neutralité politique.

Dans les deux cas — la Loi sur la laïcité de l’État et la Loi sur la fonction publique —, il s’agit d’une question d’éthique professionnelle.

Et dans les deux cas — l’Association canadienne des libertés civiles et de l’Association du Barreau canadien —, les associations qui prétendent que la Loi 21 serait discriminatoire se leurrent, ou bien elles sont malhonnêtes ou partisanes du maintient des privilèges religieux au sein de l’État. La loi ne discrimine personne. Elle ne vise personne. Au contraire, elle vise certains comportements, c’est-à-dire l’affichage religieux, qui sont inacceptables dans la fonction publique.


8 commentaires sur “Blogue 117 : L’énorme mensonge de l’Association canadienne des libertés civiles et de l’Association du Barreau canadien
  1. Réal Boivin dit :

    Très bon texte David. Ce qui est étonnant, chez les poursuivants, est qu’un organisme qui se dit des  »libertés civiles » aimeraient enfermer des citoyens dans un dogme religieux qui les prive de liberté. Tout cela est quand même kafkaïen. Tant qu’à l’association du Barreau canadien, sa position contre la loi 21 me laisse croire que plusieurs avocats de se barreau seraient beaucoup plus des adeptes de la mouvance idéologique de Georges Soros comme il est démontré dans les articles de Valeurs Actuelles de ce mois-ci.
    https://www.valeursactuelles.com/politique/scandale-soros-pour-nicolas-bay-la-cedh-est-lincarnation-du-gouvernement-supranational-des-juges-contre-la-volonte-des-peuples-116338

  2. Pierre Thibault dit :

    Tu aurais pu demander qu’ils fassent une correction. Là, on aurait su ce qu’il en est.

    • David Rand dit :

      Je ne comprends pas. Demander à qui de faire quoi au juste ? Demander à l’ACLC de corriger leur page web ? Dans ce cas, je propose tout simplement de lui envoyer une copie de ce blogue.

  3. Gina Bisaillon dit :

    Je dirais qu’ils font exprès, qu’ils font preuve de mauvaise foi. Trump le fait tous les jours et ça fonctionne. Les gens sont naïfs, pleins de bonne foi, alors profitons-en! C’est cela qui est tragique.

  4. Jean Thibaudeau dit :

    « Une intervention chirurgicale serait-elle nécessaire afin de séparer le signe de la personne qui le porte ?  »

    C’est la question que je me pose à chaque fois. Et pour moi, ç’a toujours été le fond ultime du débat autour de cette question de multiculturalisme et de laïcité.

    Ce qui est clair, c’est qu’aux yeux des Taylor, Maclure, Seymour et cie. (position reprise à leur compte par les SJW), la réponse est OUI. Pour eux, l’appartenance à la religion est une dimension si fondamentale d’une personne qu’elle est inséparable d’elle (même par une opération chirurgicale!), au point que de vouloir l’en séparer revient à une négation de l’existence même de cette personne.

    Je me demande d’ailleurs quelle place cette vision laisse aux athées. Sans appartenance religieuse, peuvent-ils être considérés pleinement comme des humains? À moins de considérer l’athéisme comme une forme de religion comme les autres…

  5. Paul Provençal dit :

    Je suis d’accord avec l’analyse de M. Rand. Il n’a jamais été question d’empêcher qui que ce soit à postuler dans l’emploi recherché.
    Qui plus est, je ne comprends pas que des juristes québécois aient accepté une motion contenant un biais si évident.
    Soit qu’ils s’en désintéressent et qu’ils sont deconnectés de la réalité québecoise ou qu’ils sont muselés par leur Association.

    • David Rand dit :

      Les juristes de l’ACLC et de l’ABC ne sont pas québécois à ce que je sache. Ils sont canadiens, et cela fait toute la différence.

  6. Wilbray Thiffault dit :

    Pourquoi la CCLA est opposé à la Loi 21? Allons sur leur site internet. Vous y verrez que tout les documents légaux sont en anglais et les versions françaises ne sont que des traductions non officielle. Ils ont définitivement une conception canadienne et monarchiste du droit, dans cette conception venant de la Common Law, la séparation de l’État et des religions n’existent pas. Et cette conception a été renforcé par l’adoption du multiculturalisme qui est une des bases de l’interprétation de la Charte des droits (Art. 27, Constitutional Law of 1982). Voilà pourquoi la CCLA est opposée à la Loi 21 qui est basé sur le droit civil français et le principe républicain de la séparation de l’État et des religions.

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