Blogue 052 : Appuyons la juge Marengo !

David Rand

Tout le monde a entendu l’histoire de Rania El-Alloul, une plaignante musulmane voilée qui, ayant comparu devant la juge Eliana Marengo à la Cour du Québec dans le but de retrouver sa voiture saisie par la police, a vu sa séance annulée, car elle a refusé de se conformer au code vestimentaire imposé par la Cour. La juge Marengo a invoqué une règle interdisant les couvre-chefs et les lunettes de soleil et a considéré que le foulard porté par la plaignante rentrait bien dans cette catégorie de vêtements non convenables, mais Mme El-Alloul a refusé d’enlever son hidjab.

Il faut appuyer la juge Marengo car sa décision est, selon nous, des plus raisonnables puisqu’elle refuse d’accommoder une plaignante pour des motifs religieux ou de discriminer selon la religion de la personne comparaissant devant sa cour. Une pétition[1] en appui à la juge est disponible en ligne.

Dans ce cas-ci, et il faut le préciser, nous ne sommes plus dans de domaine de la laïcité d’État ou de la séparation entre religions et État. Bien que la juge soit une agente de l’État, la plaignante n’est qu’une simple citoyenne. Celle-ci a le droit de s’habiller comme elle veut, mais en dehors des institutions publiques. Or, elle comparaissait devant la Cour, une institution publique, et elle avait donc le devoir de se plier aux règles de cette institution telles qu’interprétées par la juge qui en était responsable. Cette situation est comparable à l’interdiction, incluse dans la Charte laïque proposée par le précédent gouvernement du Québec défait en avril 2014, de se prévaloir d’un service public le visage couvert, bien que dans ce cas la « bénéficiaire » ne porte qu’un hidjab et non un voile intégral.

Avec cette décision, la juge nous rappelle qu’un signe religieux n’est qu’un vêtement et qu’en tant que tel, on peut l’enlever ou le changer. C’est une leçon très simple mais que les multiculturalistes s’efforcent de nous faire oublier, accrochés comme ils le sont au concept de privilège religieux (qu’ils appellent faussement un « droit »). Un voile islamique – ou tout autre signe, symbole ou vêtement religieux – ne mérite pas davantage de considération qu’un macaron de parti politique, qu’une passoire pastafarienne ou qu’un chapeau en papier d’aluminium pour se protéger contre la télépathie des extraterrestres.

Par contre, la réaction de la plaignante et des gens qui l’appuient est tout à fait identique au tollé anti-laïque soulevé par la défunte Charte. Mme El-Alloul joue la victime offensée, disant se sentir déshumanisée par le geste de la juge. Interviewée sur les ondes de la radio CBC, Anne-France Goldwater (avocate de Dalila Awada dans la poursuite-bâillon intentée contre Louise Mailloux et d’autres) n’a pas raté cette occasion d’accuser de « xénophobie » et la Charte et la juge.

Très peu de temps après cette séance annulée devant la Cour du Québec, des Torontois ont lancé une campagne de collecte de fonds par internet dans le but d’acheter une voiture pour Mme El-Alloul. Décidément, certaines personnes ont le portefeuille mieux garni que le cerveau. En réalité, cette plaignante était privée de voiture pour deux raisons : (1) parce qu’elle avait prêté sa voiture à son fils dont le permis de conduire avait été suspendu et (2) parce qu’elle a refusé de se conformer à un simple code vestimentaire de la Cour. C’est donc par ses propres actes qu’elle s’est privée de voiture. Dans le fond, elle n’avait qu’à enlever son hidjab durant la brève séance devant la Cour pour ensuite l’enfiler de nouveau après.

Malheureusement, même si la juge a fait preuve de gros bon sens dans ce contexte, j’ai bien peur que sa décision soit renversée éventuellement, car bon sens et légalité ne riment pas toujours. Un simple règlement interne du tribunal comme celui qu’elle a invoqué ne peut avoir préséance sur un droit constitutionnel. La jurisprudence – c’est-à-dire les lois canadiennes et les précédents légaux qui s’y appuient – ne lui donnerait probablement pas raison.

En effet, en décembre 2012, la Cour suprême du Canada a statué qu’une femme pouvait, dans certaines situations, comparaître en portant un niqab. Cette décision s’est fondée sur l’alinéa 2.a de la Charte canadienne des droits et libertés[2] qui stipule que la « liberté de conscience et de religion » est une liberté fondamentale. Son application requiert apparemment que le tribunal juge de la sincérité ou de la force de la croyance religieuse de la personne voulant porter le niqab. Plus récemment, la Cour fédérale a statué que l’on ne pouvait obliger une femme à dévoiler son visage lors de la cérémonie d’assermentation à la citoyenneté, car le Règlement sur la citoyenneté[3] stipule que le juge de la citoyenneté doit faire prêter le serment « en accordant la plus grande liberté possible pour ce qui est de la profession de foi religieuse ou l’affirmation solennelle des nouveaux citoyens ».

Je ne suis pas juriste, mais il me semble que la Charte canadienne a un sérieux défaut : elle met sur un pied d’égalité la liberté de conscience et la liberté de religion, sans toutefois mentionner la liberté de s’en affranchir. Il me semble que cet alinéa 2.a devrait être modifié pour se lire « liberté de conscience, qui englobe et la liberté de religion et la liberté de s’affranchir de la religion », ces deux dernières devant être respectées de façon équilibrée. De même, l’alinéa 2.b qui débute par « liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression » devrait être modifié en remplaçant « de croyance » par « de croyance et d’incroyance ». Ces modifications aux deux alinéas permettraient de protéger les libertés des athées et des autres incroyants autant que celles des croyants. Sans ces modifications, la Charte canadienne accorde une priorité indue à la religion et à la croyance religieuse et cela mène à des accommodements religieux, c’est-à-dire des privilèges religieux, dont les décisions décrites plus haut en sont de parfaits exemples.

D’ailleurs, il ne suffirait pas de supprimer la stipulation du Règlement sur la citoyenneté et d’améliorer la Charte canadienne. Il faudrait aussi abroger – ou du moins modifier de façon significative – la Loi sur le multiculturalisme canadien.[4] Celle-ci a le même défaut que la Charte canadienne, c’est-à-dire qu’elle évoque la liberté de religion et de croyance sans jamais mentionner l’incroyance. Plus généralement, cette loi favorise, par une absence de valeurs partagées, l’effritement de la société en communautés ethno-religieuses divergentes. Finalement, il est bien sûr évident que la mention de « la suprématie de Dieu » doit être supprimée du préambule de la constitution canadienne.

Parfois, le Canada, un pays reconnu comme étant un modèle de démocratie et de tolérance, prend les allures d’une théocratie qui, aux dépens des droits fondamentaux de l’ensemble de ses citoyens, accorde une place privilégiée indue aux religions et aux croyances religieuses. Nous avons énormément de travail devant nous afin de corriger cette situation.

Liens

  1. Appui à la juge Eliana Marengo
  2. Charte canadienne des droits et libertés
  3. Règlement sur la citoyenneté
  4. Loi sur le multiculturalisme canadien

Cet article est aussi disponible en version PDF.


3 commentaires sur “Blogue 052 : Appuyons la juge Marengo !
  1. Michel Malik Ethier dit :

    La Justice avant les Dogmes Religieux est dans l’ordre des choses…

  2. ETRIVERT Viviane dit :

    il faut établir la laïcité au Canada, le fait de pouvoir formellement identifier une personne, et le respect des institutions civiles et des juges et de la police est primordial; la laïcité a été établie historiquement en France pour tenir en respect l’église catholique qui se partageait le pouvoir avec l’armée au 19eme (le rouge et le noir, livre de Stendhal), c’est un système qui est attaqué aujourd’hui en France, et ce sont les juges qui sont en premier ligne de comportements inadmissibles. Il y a bien eu des reculs constatés par la pression, et le fait que cela faisait un siècle que les religions locales se tenaient tranquilles (de force puisque toute religion tends à vouloir imposer ses règles farfelues à la place du système politique non religieux rationnel). Il faut des lois fermes au canada visiblement, l exemple de la France montre qu’on perds nos libertés même les plus évidentes, sous cette pression croissante, tout recul est considéré comme un pas sur une route, faut soutenir vos juges

  3. Gagnon Jeanne dit :

    J’ai signé la pétition au tout début parce que consciente qu’il nous faut appuyer la prise de position de la Juge Marengo, compte tenu que sa décision va dans le sens d’un Québec laique et de l’application des faits et liens.

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