Journal du procès Hak contre PGQ, semaine 3

La Loi sur la laïcité de l’État (Loi 21) devant les Tribunaux
Bilan de la troisième semaine, du 16 au 20 novembre 2020
à la Cour supérieure du Québec

David Rand

2020-11-25, petites corrections 2020-11-26

Dans la même série :

Pour la troisième semaine du procès Hak contre la Procureure-Générale du Québec (PGQ), la Cour a entendu les témoignages de cinq témoins-experts — soit pour la PGQ, soit pour le Mouvement laïque québécois (MLQ) soit pour l’organisme Pour les droits de femmes du Québec (PDF-Q), donc tous en appui à la Loi 21. Dans le présent texte, je fais un survol de chacun.

Georges-Auguste Legault

Lundi matin était dédié au témoignage de Georges-Auguste Legault (MLQ), expert en éthique professionnelle de l’enseignement. Le professeur Legault établit une distinction entre la déontologie, qui préscrit un comportement, c’est-à-dire ce qu’il faut faire, et l’éthique qui concerne les valeurs et les sens partagés dans une profession. Dans le domaine de l’instruction publique, la déontologie exige que le personnel garde une certaine distance critique par rapport aux croyances. Il faut aller au-delà des particularités personnelles. Un signe religieux peut nuire à cela.

En ce qui concerne le port de signes religieux, il distingue trois sens :

  1. La signification subjective, selon la personne qui porte le signe.
  2. La signification culturelle. Un signe religieux symbolise toute une culture religieuse, y compris les textes et les autorités qui s’y rattachent.
  3. La signification à l’intérieur de l’espace publique : comment ce signe sera interprété par ceux et celles qui le voient.

Souvent on ne considère que la première signification et on néglige les deux autres. Il y a contradiction entre ces significations et le devoir de distance critique. Le port du signe peut donc susciter des doutes quant aux compétences et ainsi miner la confiance en l’enseignant. Toute relation professionnelle étant une relation de pouvoir, le port d’un signe religieux ajoute une contrainte supplémentaire et peut causer une méfiance. Les défis professionnels étant grands pour tout le monde, c’est encore plus difficile si l’enseignant porte un signe religieux.

Invité à donner son opinion du rapport de Jocelyn Maclure, le professeur Legault observe que Maclure opte pour la laïcité dite « ouverte », ce qui constitue un jugement de valeur gratuit, comme si la laïcité était normalement « fermée » et ainsi mauvaise.

« Je ne juge pas les personnes. Je dis que le signe religieux introduit du bruit dans la communication. Je fais une analyse d’impact. »

Les contre-interrogatoires du professeur Legault ont lieu mardi matin. Maître A. Hussain essaie de minimiser les qualifications du professeur en soulignant que ce dernier n’a pas de diplôme en sociologie, ni en psychologie, ni en sciences politiques, etc. Hussain liste toute une panoplie de groupes minoritaires — religieux, handicapés, végétariens, orientation sexuelle, etc. — et accuse le professeur de « commencer avec une présomption de biais ». Ce dernier réplique : « Je ne juge pas les personnes. Je dis que le signe religieux introduit du bruit dans la communication. Je fais une analyse d’impact. Je ne parle que des signes religieux et des croyances. »

Le professeur Legault rejette un amalgame souvent fait par les opposants de la Loi 21, c’est-à-dire qu’il prend soin de bien distinguer un préjugé d’une conviction forte, car cette dernière peut être le résultat d’un jugement fondé.

Hussain accuse encore : « Votre cadre de référence est prédéterminé pour viser les minorités et faire un jugement négatif à leur égard. » mais le professeur lui répond qu’il ne ne travaille ni sur les minorités ni sur les majorités.

« Vous accusez la Loi d’être machiavélique, de vouloir exclure un groupe en mettant cette contrainte. Vous faites une relation causale qui n’est pas là. C’est à vous de démontrer ce lien causal. »

Hussain semble supposer que l’appartenance religieuse ne serait pas un choix, comme l’orientation sexuelle et le handicap ne sont pas des choix. Hussain accuse la Loi 21 d’exclure certains groupes, mais Legault n’est pas dupe : « C’est une contrainte sur l’exercice des gens qui travaillent dans ce contexte. Vous accusez la Loi d’être machiavélique, de vouloir exclure un groupe en mettant cette contrainte. Vous faites une relation causale qui n’est pas là. C’est à vous de démontrer ce lien causal. »

Une autre avocate s’opposant à la Loi 21 compare cette dernière à une loi qui interdirait aux handicapés de travailler dans certains postes. Elle fait cette comparaison sous la forme d’une question qu’elle pose quatre fois, avec une extrême insistance. Legault lui répond : « Un handicap n’est pas un signe volontaire. Ce n’est pas un choix. Porter ou non un signe religieux est un choix. »

Hussain évoque l’exemple « des enfants musulmans, dont la mère porte le voile, dans une salle de classe ». En utilisant cette expression « enfants musulmans », l’avocat affiche une incompréhension de la liberté de conscience, celle des enfants dans ce cas, car un enfant n’est pas obligé d’épouser une religion, que ce soit la même que ses parents ou non, et surtout pas avant d’atteindre l’âge adulte. Hussain va même jusqu’à dénigrer le professeur personnellement, lui disant avec mépris : « Vous, homme blanc, êtes mieux placé que la mère de l’enfant ? »

Yannick Dufresne

Lundi après-midi, on poursuit et on complète les contre-interrogatoires du professeur Yannick Dufresne (pour le PGQ) qui avaient débuté le vendredi précédent. Dufresne est expert en opinion publique et a présenté un sondage dont les résultats indiquent que le plus grand appui des Québécois pour la laïcité (comparé aux Canadiens hors Québec) est fortement corrélé avec la faible religiosité des Québécois.

« Les attitudes négatives des Québécois visent davantage les religions que les minorités religieuses. »

Maître Hussain essaie de faire avouer par Dufresne que ce sondage indiquerait une corrélation avec la soi-disant « islamophobie » plutôt qu’avec une attitude négative à l’égard des religions en général. Hussain déclare même que cette « islamophobie » serait un racisme. Mais le professeur Dufresne rejette cette idée : « Je fais la distinction entre le racisme et l’anti-religiosité. Les attitudes négatives des Québécois visent davantage les religions que les minorités religieuses. Au Québec, il n’y a pas de corrélation entre aimer les blancs et appuyer la laîcité. »

Hussain prétend avoir trouvé dans le rapport de Dufresne et son co-auteur Gilles Gagné une lacune qui mine leur conclusion que c’est la religiosité qui explique l’appui à la laïcité. Il demande un calcul particulier que Dufresne lui promet de faire dans les jours à venir.

Maître Rémi Bourget (FAE) essaie, lui aussi, de miner la crédibilité du rapport. Dufresne et Gagné ont trouvé que les Québécois sont plutôt négatifs à l’égard des Arabes. « Il y a peut-être confusion entre Arabes et musulmans, non ? », suggère Bourget. « Nous avons contrôlé statistiquement pour l’amalgame Arabes-musulmans », lui répond Dufresne.

Jacques Beauchemin

Durant le restant de le journée mardi, ainsi que l’avant-midi mercredi, la Cour a entendu le témoignage, pour le MLQ, de Jacques Beauchemin, professeur de sociologie à l’UQÀM (Université du Québec à Montréal) et spécialiste en sociologie du Québec. Se référant à son ouvrage La société des identités (2004, 2007), il raconte la reconfiguration du champ politique qui s’est opérée après la Deuxième Guerre mondiale, où les luttes des classes telles que décrites dans la marxisme classique ont cédé le terrain à des luttes plus identitaires, basées sur la race, le sexe ou l’orientation sexuelle, entre autres.

Selon le professeur Beauchemin, ce virage identitaire a eu des effets positifs : « On entend maintenant des voix qui était tues autrefois. » Mais il y a aussi des effets négatifs, comme de nouveaux tabous — on ne peut pas prononcer certains mots dans certains milieux —, et une affirmation forte des identités religieuses, tout un programme d’ostentation identitaire. Dans le domaine de l’enseignement, le résultat, c’est du prosélytisme, que ce soit intentionnel ou non.

Dans ce contexte, le Québec a vécu, lui aussi, un changement identitaire majeur, où les traditionnels Canadiens-français ont cédé la place aux Québécois dans un État québécois. Liquidant un héritage catholique que Beauchemin compare à celui de la Pologne, les Québécois ont choisi la mise en commun des ressources et la laïcisation. Quelques étapes de ce processus : le Rapport Parent suivi de la fondation du Ministère de l’éducation en 1964, les États généraux sur l’éducation en 1995-96, le Rapport Proulx en 1998 suivi de la mise sur pied de commissions scolaires linguistiques en 2000. La Loi 21 fait partie de cette évolution, une étape vers la pleine laïcisation de l’école.

Quant aux signes religieux, le professeur Beauchemin explique que déjà le rapport Parent a suggéré de mettre un terme à cette situation où le maître sait tout, le par cœur, etc. L’enseignant sera dorénavant un accompagnateur, devra être neutre et se retenir en matière de convictions. On valorise la liberté de pensée de l’élève. Cela implique la fin des signes religieux. Selon Beauchemin, il serait réducteur de dire que le port du signe religieux n’a pas d’effets sur les enfants. Objectivement, le signe envoie un message et dé-neutralise l’espace scolaire. L’autorité de l’enseignant devient modifiée par la signification du signe.

Dans la perspective de l’école laïque, il faut un espace neutre, sans signes ostentatoires politiques, religieux ou anti-religieux.

Le témoin reconnaît aussi les lacunes et défauts du programme Éthique et culture religieuses (ÉCR) qui verse dans le relativisme culturel, qui étouffe l’étude comparée des religions et qui reste silencieux sur la laïcité. Il préconise donc une refonte majeure de ce cours.

Lors des contre-interrogatoires, les avocats opposés à la Loi 21 essaient, encore une fois, de minimiser les qualifications du témoin. Le professeur n’a pas de formation en éducation, ni en psychologie, ni en pédagogie, etc. Son rapport ne comporte ni entrevue ni sondage. Ils essaient aussi de tracer des liens avec des minorités non religieuses (Noirs, gais, etc.). Et, comme d’habitude, ils accusent la Loi 21 de discriminer certaines minorités, une allégation à laquelle répond Beauchemin : « Ce ne sont pas les personnes qui sont visées ! Ce sont les signes. La Loi s’applique également à tout le monde. » Et quelques minutes plus tard, il renchérit : « La Loi ne vise pas des catégories de la population selon qu’elles soient minoritaires ou majoritaires. La Loi ne vise pas les femmes plus que les hommes. »

Le professeur Beauchemin ayant critiqué le relativisme culturel, Maître Bourget l’accuse de faire lui-même du relativisme culturel lorsqu’il propose un modèle de laïcité en rupture avec le multiculturalisme canadien ! Le professeur lui répond avec clarté : « Non. On ne relativise pas. On tient compte des droits de deux groupes : les enseignants et les élèves. Le droit pour les enseignants de porter des signes religieux est une forme de relativisme culturel parce qu’on néglige ainsi les droits des enfants. »

Le juge pose plusieurs questions au professeur. En particulier, le juge dit ne pas comprendre comment le signe religieux de l’enseignant menace la liberté de conscience des autres. Beauchemin répond que ces autres sont des enfants et que la posture la plus prudente serait donc de se donner des institutions neutres, sans entrechoquement identitaire.

Il y a le prosélytisme au sens strict, actif, pour convertir. Mais le port du hijab, c’est du prosélytisme passif. Le voile transmet un message sexiste, contraire à l’égalité femme-homme.

En réponse à une question sur le prosélytisme, Le professeur commente : il y a une échelle. Il y a le prosélytisme au sens strict, actif, pour convertir. Mais le port du hijab, c’est du prosélytisme passif. Le voile transmet un message sexiste, contraire à l’égalité femme-homme. Les travaux de sémiologie expliquent la signification des signes.

Dans son contre-interrogatoire, Maître Hussain évoque le fusillade à Québec, comme il l’avait fait la semaine précédente, sans que l’on en comprenne vraiment la pertinence. Il allègue une équivalence entre un fonctionnaire québécois qui refuse de renoncer à son signe religieux en 2020 et un fonctionnaire fédéral qui refuse de renoncer à sa langue maternelle française en 1960. Et finalement, Hussain dénigre le témoin personnellement en le traitant d’« homme blanc, d’un certain âge. »

Yolande Geadah

Le témoignage de Yolande Geadah s’étale de mercredi jusqu’à vendredi, pour diverses raisons. Mercredi, la séance de après-midi débute à l’heure habituelle de 14h00, mais se termine tôt, vers 16h, à cause d’une absence de ventilation dans la salle. Le lendemain jeudi, la séance débute vers 9h30 comme d’habitude, mais est suspendue vers 11h15 puisqu’on vient d’apprendre que les enfants de Maître Hussain, qui ont assisté au procès physiquement plus tôt cette semaine, ont été testés positifs au covid-19. Finalement, le procès reprend le lendemain matin vendredi, mais virtuellement pour tout le monde.

L’expertise de Mme Geadah, témoin et experte pour PDF-Q, chercheure indépendante, est fortement contestée par les opposants à la Loi 21. Donc, la séance du mercredi après-midi débute par environ une heure et demie de contestation, concentrée surtout sur le fait que les qualifications de Mme Geadah ne sont pas académiques. Pourtant, elle est membre associée et chercheure à l’IREF (Institut de recherches et d’études féministes) à l’UQÀM et auteure de trois avis rédigés pour le Conseil du statut de la femme du Québec sur la polygamie, la prostitution et les crimes d’honneur. Elle a aussi fait des travaux pour l’ONU et pour la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Dans le cadre de ses recherches sur l’imposition du voile aux femmes, elle a entrepris des analyses de textes et de prêches (souvent en arabe) de diverses autorités musulmanes. Elle a été lauréate du Prix Condorcet-Dessaules du MLQ en 2007 et auteure de plusieurs livres, dont Femmes voilées, intégrismes démasqués.

Finalement le juge décide de l’accepter comme experte et son interrogatoire par Maître Christiane Pelchat (PDF-Q) débute.

Pour Mme Geadah, la Loi 21 n’est pas discriminatoire car elle ne vise aucune religion en particulier. La laïcité protège tout le monde, y compris les membres de minorités religieuses. La plupart des croyant(e)s, y compris des musulmanes, ne porte pas de signe religieux. Le débat sur les droits de l’individu, ce n’est pas ça l’enjeu. La promotion du port de ces signes est un mouvement intégriste pour reconfessionnaliser l’espace public.

Il serait incohérent d’accorder aux minorités religieuses le privilège d’une exception en matière de signes religieux.

Certaines pratiques et croyances religieuses sont discriminatoire et non la Loi 21. La plupart des religions sont patriarcales, surtout les monothéismes. La sacralisation du voile fait partie de cette idéologie patriarcale. Cela part de l’idée que les femmes seraient impures et doivent donc se couvrir.

Mme Geadah insiste sur l’importance du prosélytisme interne, c’est-à-dire le prosélytisme qui s’opère surtout à l’intérieur d’une religion. Son but est que tous et toutes les coreligionnaires appliquent les mêmes pratiques, selon les normes religieuses prônées par les intégristes.

En ce qui concerne l’aspect prosélyte du port de signes religieux, Mme Geadah insiste sur l’importance du prosélytisme interne, c’est-à-dire le prosélytisme qui s’opère surtout à l’intérieur d’une religion. Son but est que tous et toutes les coreligionnaires appliquent les mêmes pratiques, selon les normes religieuses prônées par les intégristes. Le salafisme cherche à rétablir toutes les pratiques du VIIe siècle.

Le voile est un outil patriarcal pour contrôler les femmes. Imposer le voile aux petites filles, c’est nouveau et c’est pervers. On l’impose tôt pour qu’elles ne se rebellent pas plus tard. Auparavant, on l’imposait aux adolescentes pour cette même raison. Maintenant on va plus loin, on vise les plus jeunes.

Le voile est un symbole de pudeur rattachée à l’idée qu’il est honteux d’exposer certaines parties du corps. Il véhicule la mentalité que pudeur = honte = déshonneur. Toutes les femmes sans voile sont considérées exhibitionnistes, impudiques, de mauvaise vie, des mauvaises musulmanes, destinées à l’enfer. Elles sont stigmatisées. Il s’agit donc d’établir une discrimination entre les femmes vertueuses et non vertueuses. Il ne faut donc pas y exposer les enfants car cela déshumanise les femmes. Le voile étiquette les femmes comme appartenant à la communauté musulmanes exclusivement. Elles ne doivent pas fréquenter d’hommes en dehors de la famille.

Mme Geadah observe que les femmes qui vantent le voile admettent que, pour elle, le voile les rapproche de dieu. Cela confirme que les femmes non voilées sont considérées loin de dieu. Quant au témoignage de la théologienne Solange Lefebvre pour qui le voile est polysémique, Mme Geadah souligne que c’est le sens collectif et objectif du voile qui prime. De la même manière, le sens originel du swastika, un signe sacré hindou très ancien, est maintenant complètement dominé, voire occulté, par le sens de la croix gammée nazie.

En Égypte, les intégristes ont investi toutes les associations pour imposer leur idéologie. La division entre musulmans et non-musulmans est maintenant très prononcée. Mais ici, au Québec, on accueille les intégristes à bras ouverts. On a manqué complètement l’aspect politique de ce mouvement.

Dans les pays musulmans, les femmes qui ne portent pas le voile sont souvent persécutées, parfois tuées. Il y a un retour, dans ces pays, à des pratiques abandonnées, par exemple à la polygamie, à l’excision féminine, à la valorisation de la pureté et la virginité des jeunes filles. Ce mouvement est un obstacle à l’égalité des sexes. Le voile est imbriqué dans toute cette pratique. Les femmes qui se dévoilent reçoivent des tas d’insultes et de propos haineux, ce qui constitue la preuve que ce n’est pas vraiment un choix.

Les musulmans ne forment pas une communauté homogène.[…] Des musulmans ont fui leur pays d’origine pour éviter la pression des intégrismes liberticides et ils sont en faveur de la laïcité.

Les musulmans ne forment pas une communauté homogène. Il faut accepter et respecter cette diversité à l’intérieur de l’ensemble des musulmans. La Loi 21 respecte cette diversité, de par la neutralité religieuse qu’elle impose. Des musulmans ont fui leur pays d’origine pour éviter la pression des intégrismes liberticides et ils sont en faveur de la laïcité.

Le discours pro-voile est mondial. Il pénètre la prédication partout, dans les mosquées, les centres communautaires, les sites web, les cercles d’études religieuses, etc. On entend le même discours au Québec que dans tous les pays musulmans que Mme Geadah a visités. Par exemple, selon l’imam Charkaoui, bien populaire au Québec, « Le hijab est votre jihad au quotidien ». C’est un symbole identitaire et de pureté.

Pour Mme Geadah, l’appartenance religieuse n’est pas du tout du même ordre que la peau noire ou le handicap. Le signe religieux indique une appartenance et un choix. Personne ne choisit sa peau ou son handicap.

Selon Mme Geadah, le libre choix de porter le voile est une absurdité, un déni de la réalité. Elle critique le courant féministe intersectionnel qui abandonne l’universalisme, réduisant tout à l’individu, à l’agentivité. Ce ne sont pas toutes les décisions des femmes qui sont nécessairement féministes ! Il y a des femmes d’extrême droite. Une prise de position pour une idéologie patriarcale n’est pas féministe. Cela va à l’encontre des droits de l’ensemble des femmes.

Quant aux témoins comme Mme Hak et Mme Chelbi qui disent porter le voile par choix, la Loi 21 ne brime pas leur choix en dehors de l’espace où la loi s’applique, dans les postes d’autorité dans les institutions d’État comme l’école.

Il est normal d’avoir peur de certains signes qui symbolisent cette idéologie. Les fausses accusations de racisme et d’islamophobie ont aggravé la situation et attisé cette hostilité.

Maître Pelchat demande à Mme Geadah ce qu’elle pense du lien allégué entre la laïcité et le racisme. Mme Geadah répond ainsi : on confond la corrélation avec la causalité. Une hostilité à l’égard des musulmans peut être due aux violences islamistes dans d’autres pays. Il est normal d’avoir peur de certains signes qui symbolisent cette idéologie. Les fausses accusations de racisme et d’islamophobie ont aggravé la situation et attisé cette hostilité.

Le voile est imposé par la force, par l’assassinat ou l’emprisonnement. Elle ne connait aucun autre signe religieux ainsi imposé.

Mme Geadah résume son témoignage principal : les signes religieux sont eux-mêmes des barrières. Ce n’est pas l’interdiction qui divise et sépare, ce sont les signes religieux qui divisent et stigmatisent. D’ailleurs le voile n’est pas un signe religieux comme les autres (tel que l’affirme Solange Lefebvre). Le voile est imposé par la force, par l’assassinat ou l’emprisonnement. Elle ne connait aucun autre signe religieux ainsi imposé. Sa revendication : Freedom of religion et freedom from religion (la liberté de religion et la liberté de s’affranchir de la religion). Nous n’avons pas à intégrer des normes religieuses dans l’espace civique, dit-elle

Comme d’habitude, les avocats qui s’opposent à la Loi 21 essaient, lors des contre-interrogatoires de Mme Geadah, de miner sa credibilité. On prétend que son rapport manque d’exemples et d’études quantitatives. Par exemple, on lui demande : « Avez-vous testé l’hypothèse que le signe porté par une enseignante a beaucoup plus d’effet qu’un signe affiché au mur ? » Mme Geadah lui répond : « Non, mais on n’a pas testé l’effet du signe au mur avant de l’enlever non plus ! On doit le retirer par principe de laïcité. On peut mener des études, mais ce n’est pas nécessaire. D’ailleurs, les chercheurs ne font pas ce genre d’étude et ne s’intéressent qu’aux opinions de la personne qui porte le signe. »

Finalement, Maîtres Hussain et Bourget accusent Mme Geadah de manquer de discipline en faisant des réponses trop longues. À ce propos, Maître Pelchat réagit avec colère : « Mme Geadah ne fait que répondre aux questions qui lui sont posées. Il faut respecter les témoins… Nous, PDF-Q, avons un seul témoin-expert… »

Patrick Taillon

Vendredi après-midi, la semaine se termine par le témoignage, pour la PGQ, de Patrick Taillon, professeur à l’Université Laval et expert en droit constitutionnel comparé. Il a eu le mandat de comparer les normes dans les États d’Europe à celles de la Loi 21.

Pour le professeur Taillon, l’Europe constitue une expérience institutionnelle unique au monde. Le contrôle de constitutionnalité y est beaucoup plus fort que, par exemple, dans les pays du Commonwealth comme le Canada.

Le professeur Taillon résume les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qu’il juge pertinentes, soit 27 décisions touchant sept pays. Il y a toujours un mininum d’exigence de neutralité, et cette exigence est plus forte quand la diversité est plus forte. La CEDH n’impose toutefois pas un modèle uniforme. Certains États-membres sont laïques, d’autres ont même une religion d’État. Il y a une gradation. Il n’y a pas d’uniformité mais, grosso modo, plus le lieu est restreint, plus facilement passe une contrainte sur le port de signes religieux. Dans sept pays européens, il y a interdiction de dissimuler le visage (ce que la Loi 21 appelle l’obligation du « visage découvert »).

Un exemple : la loi de 2018 à Genêve ressemble beaucoup à la Loi 21 au Québec, mais avec une portée un peu plus large. L’interdiction des signes religieux s’applique aux élu(e)s et le visage découvert est imposé aux élèves.

[…] la laïcité est complètement compatible avec la notion québécoise d’interculturalisme.

Le professeur Taillon critique le rapport des chercheurs David Koussens et Pierre Bosset qui témoigneront contre la Loi 21 la semaine prochaine (4e). Koussens et Bosset utilisent le mot « laïcités » au pluriel, avec des adjectifs pour préciser. Ce que Taillon appelle « laïcité » (au singulier), ils l’appellent « laïcité séparatiste » — faisant ainsi un jugement de valeur plutôt négatif. Au contraire, la laïcité est complètement compatible avec la notion québécoise d’interculturalisme, déclare le professeur.

Maître Hussain trouve que les réponses du témoin sont trop longues et insuffisamment ciblées. Maître Pelchat exprime son déaccord total avec cela.

Le témoignage du professeur Taillon se poursuivra la semaine prochaine.


Lecture suggérée


4 commentaires sur “Journal du procès Hak contre PGQ, semaine 3
  1. Raynald Levesque dit :

    L’interdiction des signes religieux s’applique aux élu(e)s et le visage découvert est interdit aux élèves.

    David: est-ce exact— le visage découvert est INTERDIT aux élèves ???

    • David RAND dit :

      Cette assertion (de Patrick Taillon) s’applique à la loi de 2018 à Genêve (PAS à la Loi 21 au Québec).

    • Roland Leclerc dit :

      Probablement un lapsus pour «interdiction du visage couvert» ou «obligation du visage découvert»…

    • David RAND dit :

      Ah, je viens de comprendre ! Je corrige ! Merci Raynald.

Répondre à David RAND Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Imprimer cette page Imprimer cette page